Le projet de loi « renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme » afin de lutter contre la menace djihadiste porte-t-il atteinte aux libertés publiques ? Pour les opposants, cela ne fait aucun doute. Ils dénoncent « une érosion des libertés d'information et de circulation et un recul de la protection offerte aux citoyens par la justice ». En bref, une atteinte aux libertés publiques. Parmi eux, la Quadrature du Net, la Ligue des Droits de l’Homme, Framasoft, le Parti Pirate, Reporters sans frontières, ou encore le Syndicat de la magistrature.
Examiné par l’Assemblée nationale à compter du lundi 15 septembre, le texte du ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve est destiné à freiner les départs croissants de candidats au jihad vers la Syrie et l’Irak, notamment pour rejoindre les rangs de l'État islamique. Selon France 24, à ce jour 946 Français sont impliqués dans ces filières. Le projet de loi instaure un nouveau délit « d'entreprise terroriste individuelle », prévoit « une interdiction de sortie du territoire » pour des ressortissant français soupçonnés de vouloir se rendre à l'étranger pour participer à des activités terroristes et renforce la lutte contre la provocation et l'apologie du terrorisme sur internet.
Pour le Syndicat de la Magistrature (SM, gauche), ce projet de loi « réduit à la portion congrue le débat démocratique par l'invocation de la menace terroriste ». Le texte présente « un déséquilibre flagrant » entre l'impératif de protection des citoyens et la nécessité de « préserver la démocratie et les libertés », soutient le syndicat.
Les opposants critiquent, entre autres, la proposition de transfert à l'administration de pouvoirs judiciaires supprimant les garanties de la procédure contradictoire. La Quadrature du Net dénonce une « logique générale de contournement du juge, pour laisser à l'administratif (la police) toute liberté d'agir. Contourner le juge, c'est faire une loi pour faciliter la vie des policiers, avec des risques importants pour les libertés publiques ».
Liberté d’information bafouée
Autre point noir pour les opposants, la menace pour la « liberté d’information » soulignée notamment par Reporters sans frontières (RSF). Selon France 24, quelque 160 sites signalés en 2013 pourraient être bloqués. Le texte prévoit d'offrir un délai de 24 heures à l'éditeur et à l'hébergeur afin de leur permettre de retirer le contenu d'eux-mêmes avant un éventuel blocage.
« En visant Internet comme moyen de communication, le gouvernement vise tout internaute voulant s'informer […] Ce projet de loi […] ne vise pas des personnes dangereuses mais des personnes qui liraient des documents considérés comme dangereux et qui serait donc soupçonnés de le devenir. Par délit d'intention, nous ne serons plus capables de nous informer sur ce que le gouvernement aura désigné comme « propagande terroriste » », dénonce la Quadrature du Net. Pour RSF : « Ce texte, en l'état, pourrait engendrer un recul de la liberté d'information puisqu'il diminue la protection juridique des journalistes, prévoit un blocage administratif des sites et augmente les mesures de surveillance, sans garantie pour la protection des sources ».
Circulation surveillée
« La restriction de la liberté de circulation d'un individu est une atteinte aux droits fondamentaux qui doit, pour être légitime, être motivée par des raisons graves et explicites », indique la Quadrature du Net. « Cette procédure confie à l'autorité administrative de nouvelles prérogatives lui permettant d'étendre son contrôle sur les citoyens à l'issue d'une procédure en trompe l'œil », juge le SM. « Les vrais clients de cette interdiction seront tous ceux contre lesquels on n'aura pas d'éléments suffisamment probants pour engager des poursuites judiciaires. C'est une restriction arbitraire de la liberté d'aller et venir », dénonce Me Pradel à l’AFP.
Les opposants n’ont pas fini de donner de la voix puisque, selon Le Figaro, plusieurs députés de droite ont préparé des amendements pour muscler le texte de Cazeneuve jugé trop « mou ». Parmi les propositions : l’interdiction du retour en France des djihadistes ou encore la création de centres de « déradicalisation ».
Gaëlle Michineau
Pour en savoir plus :
Etude d’impact du projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme (Assemblée nationale)
Loi terrorisme (la Quadrature du Net)
Les opposants à la loi antiterroriste dénoncent des atteintes aux libertés (AFP par Notre temps)
Les députés français se penchent sur un projet de loi contre le jihad (France 24)
Loi antiterroriste : comment la droite veut durcir le texte (Le Figaro)