Thierry Lepaon sera-t-il l’homme du rassemblement à la CGT ?

mardi 19 mars 2013

Malgré sa carrure imposante, ses cheveux blancs que quelques fils gris acier assombrissement encore, et son regard noir et franc presque dur, cet ancien champion d’haltérophilie est un illustre inconnu. C’est pourtant cet ex soudeur de 53 ans qui sera élu le 22 mars prochain à la tête de la CGT en remplacement de Bernard Thibault. Et il revient de loin Thierry Lepaon. Carr Bernard Thibault souhaitait comme successeur Nadine Prigent, ex-secrétaire générale de la fédération de la santé, une des 33 organisations nationales de la CGT. Mais l’ancien cheminot miné par 14 années de pouvoir à la tête de la CGT ne faisait plus l’unanimité dans les instances dirigeantes de la centrale syndicale. Instances qui d’ailleurs étaient tout aussi hostiles au principal rival de Nadine Prigent, Eric Aubin, le « monsieur retraites » de la CGT, et n’ont eu d’autres choix que de se résigner à un successeur de compromis.

Pourtant… Pourtant… Thierry lepaon n’en est certes pas arrivé là par hasard mais a eu l’habilité de pianoter sur les notes de discordes qui résonnaient à la CGT depuis quelques temps déjà. Car sous ses allures d’homme de l’intérieur, bien lisse avec sa chemise blanche déboutonnée au col et ses vestes sombres, il est plus complexe comme son regard noir et insondable semble en informer ses interlocuteurs. Sa chance, Thierry Lepaon l’attrape au vol au printemps 2012. Comme dans les polars, c’est par une nuit de fin mai 2012 que l’on imagine belle et étoilée pour parfaire l’embellie, que le futur leader de la CGT se fait remarquer dans un discours rassembleur en pleine bataille de succession au Comité confédéral national qui sert de Parlement à la CGT. Thierry Lepaon confiait à l’agence Reuters : « J'ai dit que nous enclenchions la mécanique du pire et que personne ne saurait comment en sortir, que ce n'était pas une question de personnes mais de revendications et d'orientation » avant d’ajouter comme pour se défendre : « Mais je n'étais pas candidat ». « Je n'ai su qu'on me proposait cette fonction que le 11 septembre, donc bien après. C'est à ce moment-là que sont nées mes angoisses », assurait-il en teintant ses propos  d’une touche d’humilité.

Entre terrain et apparatchik

Initié à la politique et à l’engagement par deux militants communistes, il admet toujours avoir sa carte du PCF mais assure ne plus militer depuis une quinzaine d’années « je cotise, c’est tout », assure-t-il, Thierry Lepaon rompt très vite avec le système scolaire et entre dans la vie active chez Caterpillar. C’est là qu’il rejoint la CGT. « Moi j'ai vécu 22 ans dans l'industrie, j'ai été licencié trois fois et j'ai connu 17 plans de restructuration », énumère-t-il comme s’il faisait un listing de ses blessures de guerre.  Et l’une d’elles a été d’être en première ligne du dépôt de bilan très médiatisé de Moulinex, qui laisse 3 200 salariés sur le carreau en septembre 2001 alors qu'il est au conseil d'administration.

 Certains de ses anciens collègues de Moulinex, notamment CFDT, contestent encore son rôle et l'accusent de les avoir oubliés après avoir profité des lumières des médias. « Ils me reprochent d'avoir tourné la page et c'est vrai »,, répond-il. « Je suis resté dans mes responsabilités jusqu'à la signature de l'accord de fin de conflit et j'ai mené tous les combats juridiques. Après, des anciens ont créé des associations auxquelles ils voulaient que j'adhère et j'ai refusé ».

Mais pourquoi le croit-on à peine quand il affirme, désolé : « Malheureusement, on ne choisit pas d'être devant dans ces cas-là. Je me suis retrouvé devant pour une raison très simple: on n'avait plus de banque, plus de patron, plus d'actionnaire et il en fallait bien un qui parle aux gens ». Puis reprenant une tournure d’esprit plus politique, il glisse avec quelques sous entendus, histoire de revendiquer sa différence avec ses prédécesseurs presque tous issus de la fonction publique : « Il ne vous a pas échappé que Bernard et moi n'avons pas le même parcours militant ».

Un homme ambitieux ?

Et de toute évidence, c’et une patte de rassembleur qu’il veut imprimer à la CGT : à l’appui sa volonté de tourner la page en faisant savoir que Nadine Prigent, Eric Aubin et Agnès Naton, elle aussi un temps pressentie pour succéder à Bernard Thibault, seraient de la prochaine Commission exécutive. « Il n'a pas tellement le choix. S'il veut s'affirmer, il doit rassembler », souligne Jean-Dominique Simonpoli, directeur général de l'association Dialogues.

Car cet homme jusqu’alors discret n’en est pas moins rompu à l’exercice du pouvoir au sein de la Centrale dont il a rapidement gravi les marches menant aux responsabilités. D’abord secrétaire d'union locale à Caen sa ville natale, il devient secrétaire général du Calvados, puis de la région Normandie. Depuis quelques années, il est membre de la commission exécutive de la CGT, où il est chargé de définir l'orientation revendicative de l'organisation et présidait depuis 2010 le groupe CGT au Conseil économique, social et environnemental (Cese). Des fonctions en léger décalage avec sa fermeté lorsqu’on l’interroge sur la ligne qu’il entend imprimer à la centrale : « Il n'y aura pas de marque Lepaon, il y aura une marque CGT que nous allons réaffirmer durant le congrès », assure-t-il.

D’ailleurs son entrée au Cese a fait courir la rumeur qu’il appartenait à la Franc maçonnerie. Rumeur qu’il a démenti avec vigueur : « C'est une connerie, ça n'a jamais existé ». Mais l’homme est ambitieux et très soucieux d’étendre ses réseaux à l’exemple de sa participation à un groupe informel d'échanges, le "Quadrilatère", créé par le groupe de presse Liaisons sociales, qui réunit patrons, directeurs des ressources humaines, syndicalistes, journalistes et experts.

Une CGT pas au top

Toutefois, nul n’est choisi par hasard et son expérience dans le secteur privé pourrait être un atout dans le contexte actuel de panne économique, de plans sociaux à répétition et de chômage de masse. De même, le bulletin de santé de la CGT n’est pas au beau fixe : avec moins de 700 000 adhérents, elle est encore loin du million de syndiqués qui était son objectif. « Le premier défi c'est de rendre la CGT accessible aux salariés des PME et très petites entreprises », a déclaré Thierry Lepaon en forme de programme juste avant de prévenir : « Nous ne sommes pas équipés pour les accueillir ». Et cette idée d’ailleurs entraine son second défit qui est celui de redonner au syndicalisme un « esprit de conquête ». « Nous ne sommes pas condamnés à rester dos au mur, à engager seulement des actes de résistance face aux politiques gouvernementales ou patronales. Nous voulons améliorer la situation des salariés au quotidien », affirme-t-il déjà combattif.

 Pourtant… les signaux ont été jusqu’à présent placé sous des éclairages antinomiques. D'un côté, soutien aux conflits les plus durs, dénonciation de l'accord du 11 janvier sur la réforme du marché du travail, critique du président socialiste François Hollande accusé de suivre son prédécesseur de droite, Nicolas Sarkozy ... De l'autre, un gros titre dans les Echos le 13 mars dernier : « Je ne veux pas d'une CGT qui se contente de dire non (...) La CGT n'est pas et ne sera pas le bras armé du Front de gauche ».  Reste à savoir où il placera le curseur entre ces deux alternatives…

Véronique Pierron

 

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