Défense : la France veut rattraper son retard en matière de drone

jeudi 13 juin 2013
Associated Press

Ce mardi 11 juin, le ministre de la Défense a annoncé que la France souhaitait acheter une douzaine de drones aux Etats-Unis. Ce véhicule aérien sans pilote a fait l’objet de débats politiques et de batailles industrielles et la France a « manqué le virage de ce type d’équipement » selon le ministre de la Défense. Dans une tribune publiée par Les Échos le 31 mai, Jean-Yves Le Drian, plaide pour la sortie « d’une impasse opérationnelle et industrielle pour enfin doter la France de drones » et se félicite des décisions prises dans ce sens. Il appelle également de ses vœux un partenariat européen pour développer la prochaine génération de drone.

Un retard de 20 ans à rattraper

Depuis la fin des années 90, des recommandations et des projets de développement de drone se sont succédés en France sans jamais aboutir. Selon Jean-Yves Le Drian « le temps presse », ces « pièces maîtresse du renseignement et de la guerre de demain » sont nécessaires sur tous les théâtres d’opération majeurs « pour conduire les opérations, protéger les militaires, les aider à contrôler de vastes espaces et parer d’éventuelles attaques ennemies ». Si l’armée dispose de quelques drones tactiques et de quatre drones MALE Harfang (ou SIDM) – « systèmes intérimaires » développé par EADS et Israel Aerospace Industries (IAI) pour l’armée française en remplacement du Hunter israélien en attendant des drones de moyenne altitude longue endurance (MALE) plus performants - il considère qu’il conviendrait de les remplacer par « des systèmes plus modernes ».

Le ministre suit en cela le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale 2013 qui préconise que l’armée se dote d’une capacité pérenne en matière de drone MALE et de drones tactiques. Plus précisément, il prévoit que les forces aériennes disposent de 12 drones de surveillance de théâtre et les forces terrestres une trentaine de drones tactiques à l’horizon 2025. Après la publication du Livre blanc prônant cet investissement, François Hollande a estimé, dans son discours sur la politique de défense à l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) le 24 mai, que la décision de commander des drones de surveillance et de combat « a été trop longtemps différée » et qu’elle constitue aujourd’hui une « obligation » afin de tenir compte de « la réalité des menaces d’aujourd’hui et de demain ». Il a ajouté qu’il souhaitait faire une proposition quant à la coopération en la matière « d’ici le Conseil européen de décembre ». 

Douze drones Reaper américains non armés et « francisés » pour 670 millions d’euros

Jean-Yves Le Drian l’a confirmé le 11 juin, la France souhaite acheter une douzaine de drones MALE aux Etats-Unis, répondant ainsi aux vœux du Livre blanc 2013. Dans un premier temps, il s’agit, pour faire face à l’urgence de la situation au Sahel, de l’acquisition de deux Reaper MQ-9 non armés de General Atomics – drones que les Américains ont armés et utilisés notamment pour des frappes ciblées contre les Taliban. Si la France a également mené des négociations avec les Israéliens pour le drone Héron-TP, la voie américaine, jugée la plus performante par nombre de militaires, était la piste privilégiée et la plus « prometteuse », avait estimé le ministre en mai. Le Pentagone a déjà donné son accord alors que Jean-Yves Le Drian était en visite à Washington le 17 mai pour rencontrer son homologue américain Chuck Hagel. Reste à obtenir celui du Congrès et une livraison serait alors possible avant la fin de l’année afin de déployer ces deux premiers drones sur le théâtre malien et sahélien.

Dans un second temps la France a l’intention de se procurer dix drones Reaper MQ-9 supplémentaires, mais à la condition que soit également livré les codes sources, les données permettant de « franciser » les appareils, leurs charges utiles, et d’obtenir leur maîtrise, c’est-à-dire de les adapter et de leur permettre d’être commandés et de voler dans l’espace aérien français et européen. Procédure plus délicate, à l’aune des mésaventures du ministre de la Défense allemand, Thomas de Maizière, en mauvaise posture avec l’annulation par l’Allemagne, après un investissement de plusieurs centaines de millions d’euros, du projet Euro Hawk – adaptation d’EADS du Global Hawk américain de Northrop Grumman - due au refus de communication de ces données permettant leur certification européenne. Mais Jean-Yves Le Drian est confiant. Il affirme que son homologue « s’est montré positif sur la question ». Selon lui : « Cela devrait pouvoir se débloquer ».

Le ministère estime que le coût de l’achat de ces douze drones ainsi que de leur mise en conformité pour l’espace aérien français et européen pourrait s’élever à quelque 670 millions d’euros.

Des investissements européens pour la troisième génération de drone

Quant à la prochaine génération de drone, le ministre de la Défense appelle de ses vœux un projet de développement d’une production européenne, à l’horizon 2020 pour les drones de surveillance et à l’horizon 2030 pour les drones de combat. Comme le relève Nicolas Gros-Verheyde sur le blog Bruxelles2, « la France ne peut plus, toute seule, faire les investissements nécessaires ». C’est pourquoi, Jean-Yves Le Drian, auditionné par le Parlement européen le 20 mai, a invité « les pays qui ont besoin de capacités » à se déclarer et les industriels à « mettre en œuvre un processus technologique européen. » Dénonçant un « vide sécuritaire », il a interrogé ses partenaires : « Alors que l’Europe a des capacités avioniques importantes, pourquoi faut-il acheter des drones aux Américains et en Israël ? ».

Le ministre n'entend pas « rater » le « rendez-vous » avec les drones de combat. Citant en exemple le démonstrateur de drone de combat Neuron, il considère que l'industrie française et européenne est à la pointe de cette technologie et que le gouvernement doit lui donner les "moyens nécessaires" de le rester. Jean-Yves Le Drian précise que ces drones de combat viendront « compléter, voire remplacer nos flottes d’avions de chasse ».

Des projets européens sont effectivement en chantier, tel que le programme de drone de combat furtif Neuron, développé principalement par Dassault aviation en coopération avec l’Italie, la Suède, l’Espagne, la Grèce et la Suisse, et dont le prototype a fait son premier vol en décembre 2012, ou encore le projet de drone Taranis de BAE Systems, projets qui pourraient prendre corps en 2030. Mais un certain scepticisme prévaut parmi certains analystes et acteurs quant à leur aboutissement, pointant les restrictions budgétaires qui touchent les États européens et les projets avortés ou au point mort (programme de drone MALE Talarion d’EADS ou celui du Telemos de Dassault Aviation et BAE System). Ainsi, à l’instar de Bernhard Gerwert, à la tête de la branche défense d’EADS, Eric Trappier, PDG de Dassault Aviation, se dit inquiet de la perspective de l’achat de drones américains, « sans avoir au même moment un réel lancement de programme européen ». Si elle est qualifiée de solution provisoire, cette acquisition pourrait freiner l’émergence des programmes européens. Des réserves ont également été émises quant à la viabilité économique du lancement de tels programmes avec un marché potentiellement faible face à la concurrence américaine et israélienne.

Anne-Laure Chanteloup

 

Pour en savoir plus :

Biographie de Jean-Yves Le Drian (AllGov France)

"Pourquoi l'armée française a un besoin urgent de drones" (par Jean-Yves Le Drian, Les Échos)

Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale 2013 (ministère de la Défense)

Intervention du président de la République sur la politique de défense à l'Institut des Hautes Études de Défense Nationale (Présidence de la République)

Des drones européens... Oui mais quels drones ? Et avec qui ? (par Nicolas Gros-Verheyde, Bruxelles2)

Drones : l'histoire d'un incroyable fiasco français (par Michel Cabirol, La Tribune)

MQ-9 Reaper (United States Air Force)

Le SIDM (système intérimaire de drones de moyenne altitude longue endurance) (ministère de la Défense)

Le nEUROn a fait son premier vol (Dassault Aviation)

Taranis (BAE Systems)

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