Centrafrique : La France engagée pour mettre fin à un conflit oublié

lundi 12 août 2013

 

Après plusieurs mois d’offensive – débutée en décembre dernier et interrompue par l’accord de Libreville en janvier - et le coup d’État de la coalition Séléka du 24 mars, qui a abouti à la mise en place, le 12 juin, d’un Conseil national de transition dirigé par Michel Djotodia, la situation continue à se dégrader en République centrafricaine. Les alertes se succèdent et la France entend soutenir ses partenaires africains, « accompagner la RCA, afin que ce pays ne devienne pas un État failli » et mobiliser la communauté internationale au niveau européen et onusien pour sortir de cette crise.

Dégradation de la situation humanitaire, sanitaire et sécuritaire : les messages d’alerte se multiplient

Sur la dégradation de la situation humanitaire et sanitaire, les ONG, notamment cinq d’entre elles dont Médecins sans frontières, Action contre la faim et Solidarités international, « appellent les agences des Nations Unies et les bailleurs de fonds à s’investir dans un pays à l’abandon », où l’espérance de vie est la deuxième plus faible au monde et où les seuils de mortalité sont « trois fois plus élevés que le seuil d’urgence qui définit une crise humanitaire ». Elles pointent une insuffisance pour répondre aux besoins face à une dégradation nutritionnelle et aux risques majeurs en matière de santé et d’épidémie.

Une inquiétude que partage Ivan Šimonović, le sous-secrétaire aux droits de l’homme de l’ONU, qui, en visite en RCA, a été choqué par « l’ampleur des pillages et des destructions » et a notamment constaté : 1,6 million de personnes vulnérables, 58 870 nouveaux réfugiés dans les pays voisins, 206 000 déplacés – les populations fuient les affrontements et exactions et se cachent en brousse, le plus souvent sans accès aux soins, abris, eau et nourriture - et 484 000 personnes en situation d’insécurité alimentaire. Il « exhorte la communauté internationale à ne pas abandonner » la République centrafricaine dont les institutions étatiques sont « proches d’un effondrement total », où « la population vit dans un état de peur permanent » et où, en dehors de Bangui, l’état de droit n’est plus.

Un groupe d’experts indépendants des droits de l’homme de l’ONU alerte également sur « la persistance de la violence et de l’insécurité ». Ces derniers relèvent que « l’état de droit est presque inexistant et que les abus de pouvoir et l’impunité sont devenus la norme ». Ils se disent « gravement préoccupés par les allégations d’assassinats, d’actes de torture, de détentions arbitraires, de violences contre les femmes, de disparitions forcées, de « justice populaire » ainsi que par le climat généralisé d’insécurité et par l’absence d’état de droit qui prévalent dans le pays depuis ces cinq derniers mois ».

La procureure de la Cour pénale internationale (CPI), Fatou Bensouda, s’est elle aussi déclarée, le 7 août, « profondément préoccupée par (…) les informations selon lesquelles des crimes graves continuent d’y être perpétrés » « y compris des attaques contre des civils, des meurtres, des viols et le recrutement d’enfants soldats ». C’est pourquoi son bureau qui « continue à surveiller la situation de près » « mènera des enquêtes et des poursuites à l’encontre des personnes portant la responsabilité la plus lourde dans les crimes graves ».

Des « enjeux humanitaire et sécuritaire » « très sérieux »

Ivan Šimonović avertit que ce conflit « ne doit pas tomber dans l'oubli », car il « va continuer de causer des souffrances à une grande partie de la population ; les divisions ethniques et religieuses vont s'en trouver accentuées ; et un conflit prolongé risque de déstabiliser la région au sens large ».

Selon une source diplomatique, le ministère des Affaires étrangères partage ces craintes quant à la situation de la population d’un pays déjà très pauvre et estime qu’il ne faut pas que le pays « devienne un foyer de déstabilisation ». Face aux « enjeux humanitaire et sécuritaire qui sont très sérieux », il souhaite que « le dossier centrafricain fasse l’objet d’une pleine mobilisation ». Cet engagement français se traduit par un soutien à la Communauté économique des États d’Afrique centrale (CEEAC) et à l’Union africaine (UA) ainsi que par un travail de mobilisation de la communauté internationale pour appuyer, notamment financièrement, cette sortie de crise.

La France soutient la « montée en puissance de la présence africaine sur le terrain »

Le 1er juillet, la France, qui s’inquiétait de la « situation fragile sur le plan sécuritaire » en RCA, a affirmé son soutien au « processus de transition politique lancé par la Communauté économique des États d’Afrique centrale (CEEAC) depuis le 18 avril, sur la base des accords de Libreville », ainsi qu’aux efforts de l’Union africaine (UA) en faveur d’une sortie de crise durable. Un soutien que le ministère des Affaires étrangères a réaffirmé le 2 août dans le cadre d’un message saluant la mise en place de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine (MISCA) – sous l’égide de l’Union africaine (UA) - qui a pris, le 1er août, le relais de la Mission de consolidation de la Paix en République centrafricaine (MICOPAX) – sous contrôle de la CEEAC - conformément aux décisions du Conseil de paix et de sécurité de l’UA.

Le Quai d’Orsay se félicite de cette relève qui, selon une source diplomatique, constitue « une montée en puissance de la présence africaine sur le terrain pour sortir de la crise ». Elle va « permettre à terme d’augmenter les effectifs sur le terrain » : on parle « de 3 650 soldats contre 1 100 aujourd’hui pour la MICOPAX ».

Un soutien militaire avec la mission Boali et un soutien humanitaire avec un renforcement de l’aide alimentaire

Si la France n’a pas vocation à intervenir directement en RCA, elle apporte un soutien militaire à travers la mission Boali qui, avec quelque 410 soldats déployés en RCA, assure la protection des ressortissants français ainsi que celle des emprises diplomatiques. Elle a notamment effectué des patrouilles pour sécuriser l’aéroport de Bangui. Le ministère de la Défense précise que cette opération Boali, présente depuis 2003, a vocation « à apporter un soutien logistique, administratif, technique et si besoin opérationnel à la MICOPAX ». Ce soutien militaire général est maintenu en faveur de la MISCA.

Concernant le volet humanitaire, un renforcement des moyens en matière d’aide alimentaire française été décidé, avec 2 millions d’euros d’aide alimentaire engagés pour 2013, qui viennent s’ajouter à des actions d’aide humanitaire d’urgence. Dans ce domaine, la France plaide pour un soutien de la part de l’Union européenne et de l’ONU.

La ministre déléguée chargée de la Francophonie, Yamina Benguigui, a quant à elle reçu, le 30 juillet, des représentantes d’associations de femmes centrafricaines dénonçant les exactions touchant particulièrement les enfants et les femmes. La ministre, qui avait déjà interpellé la communauté internationale sur leur situation lors de la conférence des Nations Unies du 9 juillet sur « le rôle des femmes dans la région des Grands lacs », a notamment promis de plaider à nouveau leur cause dans cette enceinte.

La France : « une claire volonté politique pour que le dossier centrafricain fasse l’objet d’une pleine mobilisation »

Sur le plan politique, la France s’est engagée à soutenir les initiatives africaines et à les relayer auprès de l’UE et de l’ONU. Selon une source diplomatique, face à de « fortes préoccupations en terme de sécurité et à une dégradation de la situation humanitaire », Laurent Fabius a souhaité un véritable engagement pour que la RCA ne s’enfonce pas dans la crise. La diplomatie française est « très active », en ce moment, au niveau européen et onusien pour mobiliser ses partenaires afin d’envisager les modalités d’une solution durable à la crise que traverse la RCA.

Selon cette même source, les Européens n’ont pas vocation à intervenir militairement car il appartient aux africains d’intervenir. Il s’agit « d’envisager un soutien européen à la MISCA pour toutes les missions qu’elle assure, et au premier chef, assurer la sécurité des Centrafricains. » L’UE a contribué au financement de la MICOPAX à travers la facilité africaine de paix - une ligne de crédit - et l’UA sollicite un financement de même nature pour la MISCA. Ce dossier est actuellement en cours d’instruction.

Dans ce travail de mobilisation des partenaires, tant dans le cadre européen qu’onusien, cette source souligne que si l’option de la mobilisation de fonds pour apporter un soutien financier voire logistique - à des pays n’ayant pas tous les capacités financières à projeter des troupes - est privilégiée, différentes pistes sont envisagées. Il pourra notamment s’agir de donner un mandat onusien à la MISCA sous chapitre 7 de la Charte des Nations Unies. Dans le cadre d’un soutien onusien aux partenaires africains, l’ensemble des dimensions ont vocation à être traitées : la sécurité, la protection des populations, la transition politique et les droits de l’homme, ce dernier volet est d’ailleurs qualifié d’ « incontournable ».

Le mois de septembre, au cours duquel l’Assemblée générale des Nations Unies se tiendra, devrait être un rendez-vous important pour porter le dossier centrafricain sur la scène internationale et parvenir à une sortie de crise. Mais dès mercredi une première réunion du Conseil de sécurité se focalisera sur la situation en RCA. À cette occasion, il examinera le rapport du Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, qui l’invite « à soutenir pleinement » la MISCA et « à envisager les options appropriées, y compris l’adoption de sanctions ou la mise en place d’un comité d’experts, afin de garantir qu’il n’y ait pas d’impunité pour les responsables de violations flagrantes de droits de l’homme ». Il considère que « rétablir la paix et la sécurité à Bangui et dans tout le pays est une priorité » et que la communauté internationale « doit s’en préoccuper d’urgence ».

Anne-Laure Chanteloup

Pour en savoir plus :

Coup d'État en Centrafrique : le France envoie 300 soldats pour protéger ses ressortissants (par Anne-Laure Chanteloup, AllGov France)

La France et la République centrafricaine (ministère des Affaires étrangères)

République centrafricaine : l'urgence de se mobiliser ! (Médecins sans frontières)

République centrafricaine : Rapport de situation N°24 du 8 août 2013 (par l’OCHA, Reliefweb)

N'oublions pas la République centrafricaine, exhorte un haut responsable de l'ONU (Nations Unies)

République centrafricaine : des experts des droits de l'homme de l'ONU alertent sur la persistance de la violence et de l'insécurité (Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations Unies)

RCA/CPI : préoccupée, la Procureure surveille la situation de près (Nations Unies)

République centrafricaine - Déploiement de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine (ministère des Affaires étrangères)

République centrafricaine : transfert d'autorité du détachement Boali (ministère de la Défense)

Yamina Benguigui : "Il faut que la France monte au créneau" en Centrafrique (par Vincent Duhem, Jeune Afrique)

Facilité de paix pour l'Afrique (Commission européenne)

Centrafrique : l'ONU recommande des sanctions ciblées (Le Monde)

Rapport du Secrétaire général : La situation en République centrafricaine (Nations Unies)

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