Le président de la République reconnaît la responsabilité de la France lors du massacre du 17 octobre 1961

vendredi 19 octobre 2012

Le communiqué de François Hollande est d’une sobriété absolue. Seulement quelques lignes justes et sans fioritures. C’est la première fois qu’un chef de l’Etat français reconnait la responsabilité de la France dans la répression meurtrière qui a servi de réponse à la manifestation du 17 octobre 1961 à Paris. Répression orchestrée de triste mémoire par le préfet de l’époque Maurice Papon, condamné en 1998 à 10 ans de prison pour complicité de crimes contre l'humanité pour avoir collaboré à la déportation de juifs sous le régime de Vichy. « Le 17 octobre 1961, des Algériens qui manifestaient pour le droit à l'indépendance ont été tués lors d'une sanglante répression », peut-on lire dans un communiqué de la présidence de la République. « Cinquante et un ans après cette tragédie, je rends hommage à la mémoire des victimes », écrit François Hollande qui ajoute que « la République reconnaît avec lucidité ces faits ».

Une commémoration qui honore une promesse de campagne faite par le candidat Hollande un an plus tôt lorsqu’il s’était rendu à Clichy-la-Garenne, une commune de proche banlieue parisienne, pour témoigner « de sa solidarité » avec les familles endeuillées par ces événements. Il avait regretté que « trop longtemps cet événement (avait) été occulté des récits historiques » et qu'il était « important de rappeler ces faits ».

Retour dans le temps

Paris, le 17 octobre 1961. Les négociations ouvertes six mois plus tôt entre le gouvernement français et le gouvernement provisoire de la république algérienne sont au point mort. Pour faire pression sur les autorités des deux pays, le Front de libération national appelle à une manifestation pacifique dans les rues de Paris le soir du 17 octobre. Une manifestation à un moment symbolique puisqu’après une série d’attentats contre les forces de police, le ministre de l’intérieur Roger Frey et son âme damnée Maurice Papon, ont instauré un couvre-feu avec la fermeture des cafés « maures » à partir de 19 heures et l’interdiction pour ceux alors désignés comme les « musulmans algériens », de ne pas sortir dans les rues de Paris et de sa banlieue entre 20h30 et 05h30. C’est pourquoi le FLN qui entend protester contre ces mesures à « caractère raciste » appelle les algériens de Paris à se rassembler sur les Grands boulevards entre 18h et 20h avec la consigne de sortir en famille et de proscrire tout ce qui pouvait être assimilé à une arme. En fin d’après-midi, la foule débarquée de tous les coins de Paris et de sa banlieue commence à se déverser sur les Grands boulevards et les Champs-Elysées et à en tapisser les trottoirs. Tant et si bien qu’aux alentours de 19h, 25 000 personnes défilent sous la pluie sans gêner la circulation.

Les 7 000 hommes qui constituent les forces de police alors en faction dans la capitale sont vite submergés. Une demi-heure après le démarrage de la procession, des affrontements éclatent à Madeleine, Opéra ou Concorde. Affrontements qui escaladent vite les échelons ultimes de la violence la plus prosaïque. Des manifestants sont jetés dans la Seine, tués par balle ou le crâne fracassé par des manches de pioche ou des crosses de fusils. A Pont de Neuilly, certains témoignent de rafales de mitraillette qui aspergent le service d’ordre de la manifestation. Une démonstration de force qui ramène le calme à 22h30. Plus de 12 000 manifestants sont arrêtés. Le lendemain, le Conseil des ministres décide, autour du général de Gaulle, que six compagnies de CRS et quatre escadrons de gendarmes viendront renforcer la police parisienne. Dans la foulée, 1.500 manifestants seront reconduits en Algérie dans les 48 heures. Sans autres explication ou regrets, c’est ainsi que sera clôturé un matin de gueule de bois du 18 octobre 1961, la répression la plus sanglante de la toute jeune Vème République comme un écho à celle de la Commune de 1848 ou encore celle qui ont annihilée la révolte des Canuts de Lyon en 1831. Episodes que l’on croyait enterrés par l’histoire. L'historien Jean-Luc Einaudi qui a levé le voile sur cette tragédie dans  « la bataille de Paris » publié en 1991 raconte que les violences se sont poursuivies au Palais des sports où les manifestants arrêtés ont été maintenus en détention. Au vu de la gravité de la situation, la Croix Rouge a demandé aux autorités la permission d’intervenir au Palais des sports. Une permission qui lui sera refusée.

Si le bilan officiel de la répression est de trois morts et 64 blessés, Constantin Melnik, qui était conseiller pour la police et le renseignement au cabinet du Premier ministre Michel Debré pendant la guerre d'Algérie, soutiendra en 1988 que cent personnes sont mortes du fait des exactions de la police. Toutefois, le bilan réel se situe sans doute autour de 200 morts, voire « plusieurs centaines », selon l'historien Jean-Luc Einaudi.

Polémiques… toujours

Mais en France, personne ne coupe jamais à la polémique et même la reconnaissance légitime de ce triste épisode par François Hollande n’y fait pas défaut. C’est Christian Jacob, président du groupe UMP à l'Assemblée nationale qui déclenche les hostilités. Utilisant à son tour, la méthode communiqué pour s’exprimer, il écrit : « S'il n'est pas question de nier les événements du 17 octobre 1961 et d'oublier les victimes, il est intolérable de mettre en cause la police républicaine et avec elle la République toute entière » et ajoute sur le ton de  l’innocence : « Le président de la République doit préciser si son simple et très court communiqué vaut reconnaissance de la responsabilité de la France ». Au final, la droite montre les crocs car cette épisode écorne quelque peu le piédestal du héro absolu comme l’avoue de façon sibylline Christian Jacob à des journalistes dans les couloirs de l’Assemblée : « Nous sommes en 1961 avec un président de la République qui est le général de Gaulle, avec une démocratie qui fonctionne ». Jean Marie Le Pen y a été aussi de son petit commentaire en claironnant sur RTL que « Pas plus M. Chirac que M. Hollande n'ont autorité pour reconnaître la culpabilité ou l'innocence de la France ».

De leur coté, les sénateurs communistes qui avaient déjà déposé en début d’année, une proposition de résolution sur la reconnaissance du massacre, ont réitéré leur demande avec le Front de gauche. Mercredi, le député Front de gauche François Asensi et le groupe PC et apparentés du Sénat ont déposé chacun de leur côté, une proposition de loi afin que toute la lumière soit faite sur ces événements. « L'adoption de cette proposition de loi serait un geste de concorde à l'adresse du peuple algérien, ce peuple ami, et contribuerait au rapprochement entre nos deux peuples », a estimé conclut François Asensi.

Véronique Pierron

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