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Résumé

Le ministère des Affaires étrangères et européennes (MAEE), aussi appelé « Quai d’Orsay » ou tout simplement « le Quai », conduit l’action diplomatique de la France en Europe et dans le monde et agit pour donner à la France la place qui lui revient sur la scène internationale.

Il est notamment chargé d’informer les plus hautes autorités de l’Etat de la conjoncture internationale et de la situation des pays étrangers.

 

Il est également responsable de la conception et de la mise en œuvre des grandes orientations de la politique extérieure ainsi que des relations internationales de la France. Il représente de ce fait l’hexagone auprès des gouvernements étrangers et des organisations internationales, il négocie et signe des accords au nom de la France et coordonne les actions des autres ministères à l’égard de l’extérieur.

 

Le ministère est aussi chargé de défendre au quotidien les intérêts stratégiques de la France à l’étranger et d’assurer son rayonnement politique économique et culturel ; ainsi que de l’assistance aux ressortissants français hors du territoire.

 

Pour mener les missions qui lui incombent, le MAEE est divisé en une administration centrale située à Paris et une administration territoriale présente partout sur la planète.

 

Ce sont d’ailleurs les ambassades et consulats de France qui sont en grande partie responsables de rassembler les informations sur la situation internationale et les Etats étrangers ainsi que de la protection des intérêts du pays et de ses ressortissants. En outre, l’ambassadeur représente sur place le président de la République, le gouvernement, et donc tous les ministres qui le composent.

 

Par ailleurs, le ministre des Affaires étrangères et européennes dispose d’un ministre chargé de la Coopération, d'un ministre chargé des Affaires européennes ainsi que d’un Secrétaire d’Etat chargé des Français de l’étranger.


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Histoire:

Si la France a toujours eu une politique étrangère, il aura fallu attendre 1589 pour qu’elle ait un « ministre », ou plutôt un secrétaire d’Etat exclusivement chargé des affaires étrangères,  et 1853 pour qu’elle ait un ministère à part entière.  

 

En effet avant 1589, la conduite de la diplomatie française était assurée directement par le Roi et son entourage direct. Ils avaient certes des conseillers diplomatiques, des « notaires secrétaires du roi », et des ambassadeurs, temporaires à l’époque, mais il n’existait aucun département dédié aux affaires étrangères avant la fin du XVIe siècle.

 

Les quatre secrétaires d’Etat du roi se partageaient la lecture et l’envoi de la correspondance avec les provinces et les pays étrangers.  Le secrétaire chargé de la correspondance avec la Champagne et la Bourgogne, par exemple, s’occupaient aussi de la correspondance avec les pays étrangers limitrophes, comme l’Allemagne ou la Suisse. La répartition des affaires étrangères était purement géographique et n’avait aucun caractère de permanence.

 

Le 1er janvier 1589, Henri III instaure un nouveau règlement qui créé la fonction de secrétaire d’État des Affaires étrangères. Ce dernier est chargé de la correspondance avec les gouvernements étrangers et les ambassadeurs accrédités auprès de ceux-ci par la France. Ses attributions s’étendent aussi au commerce extérieur concurremment avec le contrôleur général des finances et le secrétaire d’État de la Marine, mais les consulats dépendent uniquement de ce dernier. Ce principe n'a plus été remis en cause par la suite, sauf pendant une brève période de deux ans sous Louis XIII (1624-1626).

 

C’est Louis de Révol qui a l’honneur d’être nommé le premier « secrétaire d’Etat des étrangers ». Il est apparemment choisi en raison de son dévouement et de sa docilité. Les témoignages de l’époque le qualifient « d’homme fidèle et de saine réputation, accoutumé à servir le roi, dès ses plus jeunes années, bien que toutefois, en matières d’affaires de cour et de conseils, il n’eut jamais passé pour habile ».

 

L’administration des Affaires étrangères sous l’Ancien Régime est en effet très différente de celle que l’on connaît aujourd’hui. Le secrétaire d’Etat a des attributions, certes importantes, mais sans rapport réel avec la politique étrangère. Le roi est celui qui prend toutes les décisions ; les questions relevant du commerce international sont traitées en grande partie par le département de la Marine. Il a plus un rôle administratif et non politique comme aujourd’hui. Certains le comparent même à un scribe.

 

La carrière diplomatique, elle, est à peine organisée. Le réseau des ambassades se développe doucement. Ce n’est d’ailleurs qu’en 1783 que les consulats rejoignent les affaires étrangères. Ils étaient jusqu'alors rattachés à la Marine. Chaque secrétaire d’Etat est autorisé à se faire assister d’un commis et de six clercs choisis sous sa responsabilité. Mais les commis sont de simples bureaucrates qui font une carrière lente et modeste et qui ne vont jamais à l’étranger.

 

Entre 1589 et 1791, on compte vingt-neuf secrétaires d’État (y compris Richelieu, Colbert de Croissy et Torcy), dont les attributions demeurèrent inchangées jusqu’à la fin de l’Ancien Régime.

 

Le XIXe siècle hérite des structures mises en place sous l'Ancien Régime, mais la terminologie change ; les bureaux deviennent des divisions, puis des directions, les premiers commis prennent le titre de chef puis de directeur. La condition administrative des employés et agents des Affaires étrangères change et la notion de fonction publique apparaît.

 

En 1853, le ministère emménage quai d’Orsay.

 

Le rôle du secrétaire d’Etat des affaires étrangères évolue aussi peu à peu. Il n’a pratiquement plus de fonctions administratives et devient responsable de sa politique devant le parlement.

 

Les ambassades reflètent la place tenue par les affaires d’Église mais au fur et à mesure, la fonction se laïcise. On y trouve de grands seigneurs et de nombreux  magistrats qui se spécialisent dans les Affaires étrangères.

 

L'organigramme du ministère est fréquemment modifié aux XIXe et XXe siècles. De 1825 à 1945, pas moins de dix-sept textes officiels l'ont remodelé suivant des critères soit géographiques soit méthodiques.

 

La réforme de 1825 est considérée comme une réforme-phare. Le baron de Damas, surnommé le "ministre de l’Intérieur des Affaires étrangères" de par ses qualités d’administrateur, propose une réorganisation interne de l’administration centrale. Il crée notamment une division commerciale à laquelle est joint un bureau de statistique.

 

Tout le long du XXe siècle apparaissent des services nouveaux, adaptés aux réalités de la vie internationale. L'accroissement des échanges intellectuels a entraîné les Etats à pratiquer une politique, dite culturelle : diffusion des journaux et des livres, création à l'étranger d'écoles ou d'instituts scientifiques, octroi de bourses à des étudiants étran­gers en France ou à des étudiants français à l'étranger, organi­sation de conférences, de compétitions sportives, d'expositions artis­tiques ou techniques et de tournées théâtrales….toute action servant à promouvoir le rayonnement culturel de la France dans le monde.

 

De même, la guerre de 1914-18 obligea le Ministère des Affaires Etrangères à créer un service spécial, rattaché à la Direction politique, chargé de renseigner les journalistes et le public sur les ques­tions de politique extérieure, ainsi que de publier des extraits ou des résumés des journaux et revues françaises et étrangères. C'était le premier germe de ce que l’on appelle aujourd’hui la Direction de la communication et du porte-parolat.

 

Simultanément, le nombre des postes diplomatiques et consulaires s'accroît de façon spectaculaire. En 1982 la France a 157 ambassades, 5 délégations auprès des organismes internationaux et 148 consulats, alors qu'à la veille de la première guerre mondiale elle n'avait que 10 ambassades, 33 légations (dirigées par des ministres plénipotentiaires) et 107 consulats.

 

Désormais c’est le Quai d’Orsay qui définit la politique étrangère de la France sous l'impulsion du Président de la République.

 

Après la Seconde Guerre Mondiale, l’administration centrale est régulièrement réorganisée. Une direction des échanges culturelles, scientifique et technique et la Direction des affaires juridiques sont créées.

 

La Direction des conventions administratives et des affaires consulaires est transformée en direction des Français à l'étranger. La nouvelle direction a pour «mission d'assurer l'accueil et l'information des Français se rendant à l'étranger, d'animer et de coordonner l'activité des diverses administrations ou organismes compétents en matière de protection sociale, de santé, d'éducation, de contribuer à la sécurité de nos ressortissants, de leur faciliter l'exercice des droits civiques, de leur assurer enfin des conditions satisfaisantes de réinsertion ». C’était un domaine que le quai d'Orsay avait tendance à abandonner aux ministères techniques. La réforme marque une ouverture du ministère vers le public, avec l'abandon de la hiérarchie entre affaires diplomatiques et affaires consulaires. En effet, dans le même temps les consulats sont intégrés dans le réseau diplomatique d'une manière plus complète et la protection des ressortissants français devient une priorité.

L'ambassadeur devient dépositaire de l'autorité de l'Etat dans le pays où il est accrédité. Il est chargé, sous l'autorité du ministre des affaires étrangères, de la mise en œuvre dans ce pays de la politique extérieure de la France.

 

En 1973, le Centre d'analyse et de prévision est crée et directement rattaché au ministre. Sa mission est de proposer des options de politique étrangère à partir « études prévisionnelles ou techniques ». En 2009, le centre est remplacé par la direction de la Prospective.

 

Par ailleurs, en 1979, une structure de crise est mise en place. La cellule doit centraliser tous les renseignements disponibles et assurer une coordination interministérielle en cas d'événements graves.

 

Depuis, plusieurs ministres ont tenté de moderniser les services et modifier la culture des agents du Quai afin d’adapter l’action extérieure de la France à la nouvelle donne internationale.

 

En effet, depuis de nombreuses années le ministère perd de son influence. L’une des raisons est l'« internationalisation » des autres ministères. Le Quai n’a pas le contrôle de l'action extérieure de la France.

 

A la fin des années 90, c’est le ministère de l’agriculture qui a en grande partie géré la crise de la vache folle. Et c’est loin d’être le seul exemple. Les finances, l'industrie, l'environnement, la santé, etc, ont tous développé des sections internationales. Ces ministère, dit techniquement compétents, ont plus pesé dans la gestion des dossiers tels que la « guerre de la banane » avec Washington, la constitution d'un pôle aérospatial européen ou les négociations sur l'effet de serre que le Quai d’Orsay.

 

Or, cette dispersion a parfois conduit à des « incohérences », notait en novembre 2002 le député UMP de l'Oise Eric Woerth, rapporteur spécial de la commission des finances de l'Assemblée nationale sur le budget des affaires étrangères: « Le ministère de l'intérieur ne peut lutter contre l'immigration clandestine sans l'aide des services des visas, le ministère de la santé doit tenir compte des orientations définies à l'Organisation mondiale de la santé, le ministère de la recherche accueille des étudiants étrangers et accompagne les voyages d'étude des Français, celui de l'environnement est lié par des engagements internationaux. »

 

A titre indicatif, en 2003, les crédits sont dispersés au sein de quinze ministères.

Autre phénomène qui appauvrit l'action du diplomate classique est la montée en puissance des négociations multilatérales. Les dossiers sont de plus en plus mondialisés et l'essentiel se joue au G8, à l'ONU, l'Union européenne ou à l'OMC, ce qui accentue le sentiment de dépossession des ambassades.

 

En outre, le Quai est accusé de dysfonctionnement. La structure est obsolète, elle n’est pas adaptée aux nouveaux enjeux globaux, ni à la nouvelle donne internationale.

En 1993, Alain Juppé (ministre du MAE de 1993 à 1995) tente de remédier au problème. Il restaure l'importance du Centre d'analyses et de prospective et met l'accent sur l'importance des questions économiques, pour « dynamiser le réseau », explique-t-il. Il lance également la Conférence annuelle des ambassadeurs, où ceux-ci rencontrent les plus hautes autorités de l'Etat et sont supposés débattre des grandes options du ministère.

Il procède par ailleurs à un vaste audit, sous l'égide du conseiller à la Cour des comptes Jean Picq. Son rapport « secret », car il ne sera jamais diffusé, constate que le Quai est paralysé par une « guerre des directions » entre « des baronnies soucieuses avant tout de défendre leur territoire [et qui] pratiquent la rétention d'information », vivait une « crise de confiance ».

 

Il prône alors l'urgence d'une révolution culturelle et des méthodes de travail pour améliorer son fonctionnement, l'information, la formation des diplomates. Il obtient la création d'un comité interministériel des moyens de l'Etat à l'étranger (Ciméé). Mais la résistance des ministres concernés, peu enclins à accorder au Quai un droit de regard sur leurs programmes à l'étranger, a eu raison de cette structure, qui n'est devenue qu'un simple outil statistique.

 

Alain Juppé réussit ainsi à réveiller les consciences mais il n’arrivera pas à mettre en placer de réforme concrète et efficace.

 

Son successeur Hubert Védrine (ministre de 1997 à 2002), tente lui aussi de moderniser le ministère et de restaurer l’influence de la diplomatie française.

 

Il lance des grands chantiers  et créé quatre comités. L'un est en charge du management - répartition des effectifs, méthodes de travail, formation, etc. Le second comité, dit « stratégique » a pour but de « rompre les hiérarchies verticales », c’est- à -dire d'obliger les directeurs de service à travailler ensemble. Le troisième suit la politique immobilière. Et le dernier est un comité pour l'information et la communication, ayant pour objectif de développer et contrôler la capacité communicante des diplomates. L'objectif du dispositif vise à modifier les habitudes de travail pour améliorer l'efficacité des ambassades. Il tente également d’aménager la « carte diplomatique ».

 

Mais lui aussi se heurte aux carcans comptables et à la résistance des diplomates. Malgré son enthousiasme et sa volonté, Védrine n’arrivera pas non plus à moderniser le système autant que nécessaire. 

 

Il réussit cependant à enrayer la chute constante du budget et des emplois (le MAE en a perdu 1 000 en dix ans). En 2001, et pour la première fois depuis 1995, les moyens du Quai sont en légère augmentation (21,96 milliards, soit 1,29 % du budget de l'Etat). Il améliore également la communication électronique et le site internet du MAE.

 

C’est aussi sous son mandat, que le ministère de la Coopération est intégré au Quai d’Orsay (le 1er janvier 1999).

 

Dominique de Villepin, ministre de 2002 à 2004, essaie lui aussi de reprendre la main sur l’action extérieure de la France. Le MAEE ne dispose en 2003 que de 46 % des crédits et 66 % des effectifs concourant à l'action extérieure de l'Etat, le reste étant réparti entre d'autres administrations.

 

« Le ministère des affaires étrangères doit devenir le centre de coordination, d'impulsion et de synthèse de l'action extérieure de l'Etat. (...) Nous devons affirmer une authentique unité d'action », déclare-t-il le 27 août 2002, en ouverture de la 10e conférence des ambassadeurs. Un an plus tard, même lieu, le ministre s’exprime à nouveau sur le sujet: « Notre but doit être de rendre à notre ministère la responsabilité de fixer le cap de l'action de la France à l'extérieur de nos frontières. »

 

Mais cela restera encore une fois plus facile à dire qu'à faire. En 2007 notamment est crée le ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire, intégré en 2010 au ministère de l’Intérieur. D’autres compétences traditionnellement exercées par le Quai sont à  leur tour transférées à un autre ministère plus « technique ».

 

Lorsque que Nicolas Sarkozy arrive au pouvoir en 2007, lui aussi souhaite adapter l'outil diplomatique français aux enjeux, notamment de la mondialisation. Il demande à une Commission regroupant une quarantaine de diplomates, chercheurs, députés et représentants du monde des affaires, sous la coprésidence de l'ancien ministre des Affaires étrangères Alain Juppé, et de l'ancien patron de Renault Louis Schweitzer, de préparer un texte visant à clarifier les priorités de la diplomatie française.

Le « Livre blanc sur la politique étrangère et européenne de la France » n'a pas le caractère d'un document officiel. Intitulé « La France et l'Europe dans le monde », le rapport émet simplement des propositions et projette son analyse sur la période 2008-2020.

 

Sur le plan des moyens du MAEE, le texte prône la préservation de l' « universalité » du réseau diplomatique. Il ne faut pas réduire le nombre des ambassades mais créer des catégories différentes qui permettraient d'alléger certains dispositifs. Il appelle à améliorer les instruments de prospection, et de ceux consacrés à la gestion des crises. Et aussi à mieux gérer le personnel, en valorisant notamment la formation linguistique des diplomates.

 

La Commission constate également qu'avec la réduction des effectifs du ministère (moins 11 % entre 1997 et 2007) liée aux contraintes budgétaires, l'outil diplomatique français est « à l'étiage ».

 

Dans le cadre des travaux du Livre blanc mais aussi du processus de révision générale des politiques publiques (visant à réduire les dépenses publiques de l’Etat), Bernard Kouchner, alors ministre des Affaires étrangères et européennes, se lance dans une refonte sans précédent du Quai d’Orsay. L’objectif : rénover l’action extérieure de la France et adapter les structures et les modes de fonctionnement du ministère des affaires étrangères et européennes.

 

La modernisation du ministère se traduit, notamment, par la réorganisation de son administration centrale. Le décret et l'arrêté relatifs à l'organisation de l'administration centrale du ministère sont signés le 16 mars 2009.

 

L’un des principaux volets de la réforme est la création du Centre de crise, inauguré en juillet 2008. Opérationnel 24 heures sur 24 et sept jours sur sept, il a pour objectif de coordonner l’ensemble des moyens du MAEE et des acteurs français impliqués dans une crise à l’étranger, que ce soit une crise mettant en danger la sécurité des Français à l’étranger ou à caractère humanitaire. Il a notamment été mobilisé lors du conflit en Géorgie, du tremblement de terre en Haïti ou pendant les révoltes du printemps arabe.

Une direction générale de la Mondialisation et des Partenariats a également été mise en place, ainsi qu’une direction de l’Union européenne et une direction de la prospective. Cette dernière remplace le Centre d'analyse et de prévision (CAP) et « prépare les décisions du ministre (auquel elle est directement rattachée) par l'analyse des évolutions à moyen et long terme des relations internationales et des questions qui les influencent. » Les directions géographiques ont par ailleurs vu leur rôle renforcé puisqu’elles sont désormais consultées sur la répartition des moyens dans leur zone de compétence.

 

Au-delà de l’administration centrale, Kouchner souhaite également moderniser le réseau diplomatique à travers une nouvelle catégorisation des ambassades : les ambassades « polyvalentes » opérant avec toute la gamme des compétences (une trentaine), les ambassades consacrées à des « missions prioritaires » (une centaine), et des « postes de présence diplomatique » à effectifs très réduits devant assumer une fonction de « veille » et orientés vers la « diplomatie d'influence » (une trentaine). Ces postes sont confiés de préférence à de jeunes diplomates.

 

La réforme prévoit également de promouvoir et de rémunérer des diplomates « au mérite », et de favoriser une féminisation du corps des ambassadeurs.

Concernant l’aspect culturel enfin, le ministère a fusionné les services de coopération et d’action culturelle des ambassades avec les centres culturels, tout en renforçant le lien avec les Alliances françaises. La diplomatie d’influence culturelle souffre en effet d’une multiplicité de structures qui empêche la conduite d’une stratégie claire des actions françaises.

 

En outre, le ministère crée l’Institut français, sorte de tête-de-pont du réseau culturel,  « un outil diplomatique, qui cherche à développer une stratégie d’influence globale de la France à l’étranger. Nous ne sommes pas là uniquement pour organiser des expositions ou subventionner du spectacle vivant. Nous sommes aussi là pour faire entendre la voix de la France. Nous allons donc nous attacher à participer et lancer des débats d’idées, à davantage promouvoir la langue française et à amplifier les traductions, » explique Xavier Darcos, président de l’institut.

 

De nombreuses personnes ne voient dans ce projet de grande ampleur que des “réformettes” et doutent de la réalité du changement. Pour certains, les services ont juste été rebaptisés, pour d’autres ce n’est simplement pas suffisant.

Cependant, d’autres considèrent que l’hypothèse d’un ministère des Affaires étrangères recentré sur la seule diplomatie politique serait plus pertinente. Selon eux, le ministère de la Culture est désormais le mieux placé pour diffuser la culture française dans les autres pays. D’autres spécialistes soulignent que cela est de toute manière déjà le cas puisque dans les faits c’est le ministère de l’Économie qui s’occupe du commerce extérieur, le ministère de l’Éducation nationale qui gère les enseignants des lycées français à l’étranger etc.

 

Et même si Bernard Kouchner ne serait probablement pas publiquement d’accord avec ces commentaires, il semblerait qu’il ait tout de même pris conscience de la réalité puisque la dimension interministérielle du réseau de l'Etat à l'étranger n'a pas été omise dans ses réformes. En effet, d'un comité interministériel des réseaux internationaux de l'Etat (CORINTE) est également mis en place. Ce dernier vise à définir une stratégie globale de l'action de l'Etat et davantage de coordination interministérielle.

 

En 2011, la mise en place de ces réformes ne semble avoir améliorer la situation et apporter des solutions à la crise d’identité du Quai d’Orsay. Et même la diplomatie politique semble lui avoir échappé.

 

 

La politique étrangère

 

Au niveau de la politique internationale à proprement parlé, depuis Louis XIV, 1789 et Napoléon, la France poursuit un rêve de grandeur: conquête du Nouveau Monde, de l’Afrique, politique coloniale, instauration du français comme langue internationale etc… Après la défaite contre l'Allemagne en 1870, ce rêve se brise une première fois, et les deux guerres mondiales accentuent le sentiment de déclin qui se développe tout au long du XXe siècle. La France perd une partie de son influence internationale, notamment par son assujettissement  au Troisième Reich.

 

Elle se donne cependant un nouveau rôle sous l'impulsion du général de Gaulle : mise en place d'une force de dissuasion nucléaire, sortie des structures intégrées de l'OTAN, coopération avec les pays africains et arabes. Elle mène une politique indépendantiste et cultive la notion « d’exception française ».

 

Mais la fin de la guerre froide, la construction européenne et le début de la mondialisation remettent en cause l'héritage gaullien. Le renforcement de l'intégration européenne, sous François Mitterrand et Jacques Chirac, le retour au nucléaire entre autres conduisent la France à renoncer au mythe de la grandeur mais ne l’empêche pas de jouer un rôle déterminant au sein de l’Europe ainsi que sur la scène internationale.

 

Cependant, lorsque Dominique de Villepin est à la tête du Quai d’Orsay sous Jacques Chirac, une nouvelle diplomatie française émerge. La France s’affirme, certains diront s’isole, en opposant la guerre en Irak, critiquant l'« unilatéralisme » américain, en se réengageant en Afrique ainsi qu’en défendant un monde « multipolaire » et d'une Europe-puissance ; au grand damne des Etats-Unis et de certains pays européens.

 

Depuis l’arrivée de Nicolas Sarkozy au pouvoir, la France s’est à nouveau rapprochée des Etats-Unis, mais la France est aussi partout et a son mot à dire sur tout: Géorgie, crise financière, Bruxelles,  Afrique, OTAN, Afghanistan, dossier Iranien sont quelques exemples…et depuis son rendez-vous manqué avec les révoltes arabes, la France semble vouloir compenser ; en prenant les rennes dans le conflit en Lybie, en condamnant fortement le régime du président syrien Bachar, en étant l’un des premiers pays promettant la  reconnaissance d’un Etat palestinien en septembre 2011 à l’ONU.

Mais de nombreux spécialistes et observateurs ont souvent critiqué la politique étrangère de Nicolas Sarkozy. La plupart des décisions du président sont impulsives, manquent de préparation et de vision à long terme, soit par caractère ou manque d'expérience et de hauteur de vue, soit par sacrifice aux calculs politiques à court terme, disent-ils. Le conflit en Géorgie, en Lybie, l'Union pour la Méditerranée et surtout les révoltes en Tunisie et en Egypte sont cités en exemple.

 

Ebranlée par ses erreurs de jugement sur la révolution tunisienne et égyptienne, il est aujourd’hui impératif que la diplomatie française se reconstruise dans le monde arabe. L'accélération des soulèvements populaires au Moyen-Orient, dans une région où la France pensait jouer un rôle particulier, et les critiques formulées contre la politique extérieure française suscitent de douloureux examens de conscience à l’Elysée comme au Quai d'Orsay.

 

C’est pour cela que la nomination d’Alain Juppé au Quai d’Orsay en mars 2011 est accueillie avec bienveillance et soulagement. Dans les gros titres, on le qualifie « d’homme providentiel », de « sauveur ». Son pragmatisme et son bilan politique (aux affaires étrangères comme ailleurs) rassure.

 

Des son arrivée, Juppé a clairement annoncé ses priorités, relatives aux bouleversements dans le monde arabe : renforcement de la présence en Afrique et de la défense européenne, renforcement des partenariats avec les pays émergents comme la Russie, la Chine et le Brésil. Il juge également nécessaire de relancer l'Union pour la Méditerranée (UPM), forum de coopération entre l'UE et les pays du Maghreb et du Proche-Orient. C'était le grand projet du début de mandat de Nicolas Sarkozy, "initiative" qualifiée de prémonitoire par M. Juppé.

 

Il souhaite également rétablir la confiance auprès des diplomates qui ont exprimé dans des tribunes anonymes leurs inquiétudes quant à "l'amateurisme" ou "la peur du changement" manifestés par la diplomatie française. Selon un sondage Harris Interactive publié en mars 2011, 55 % des Français lui font "plutôt confiance" comme nouveau chef de la diplomatie.

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Ses missions:

Aujourd’hui, la Mission principale du ministère des Affaires étrangères et européennes (MAEE) est de mener et coordonner l’action diplomatique de la France en Europe et dans le monde.

 

Concrètement, cela veut dire que le réseau diplomatique, deuxième au monde après les Etats-Unis et présent sur la quasi-totalité de la planète, suit en permanence l’évolution de la conjoncture internationale et la situation des pays étrangers.

 

A partir des informations recueillies par ses représentants à l’étranger et des analyses conduites par ses spécialistes, le ministère informe et conseille le président de la République sur les questions de politiques étrangères. Une fois que la politique et les stratégies sont définies, il est chargé de les mettre en oeuvre.

 

Le rôle stratégique du Quai d’Orsay varie selon les présidents et les ministres. Jacques Chirac, par exemple, avait confiance et respect pour Alain Juppé et Dominique de Villepin. Il travaillait en étroite collaboration avec eux. Ce qui n’était pas le cas avec Philippe Douste-Blazy, réputé pour ses gaffes, son manque d’intérêt et surtout de vision géopolitique.

 

Nicolas Sarkozy, lui, a tendance à mener sa politique en solo, souvent sans prendre en compte les observations des diplomates, pour qui il affiche un mépris à peine voilé. Son arrivée à l'Elysée a d’ailleurs donné lieu à des tensions souvent fortes entre la présidence de la République et le Quai d'Orsay, qui se sent dépouillé de ses tâches essentielles.

En mars 2011, par exemple, Nicolas Sarkozy prend la décision, au cours d’un entretien avec deux émissaires libyens, de reconnaître le Conseil national de transition libyen (opposé au Colonel Kadhafi) sans consulter, ou même prévenir le ministre des affaires étrangères Alain Juppé (ni son directeur de cabinet, ni le secrétaire général du Quai). Il autorise par ailleurs les deux envoyés spéciaux d’en faire l’annonce à la presse. « C'est la première fois dans l'histoire de la Ve République qu'une décision majeure de politique étrangère est annoncée par... des personnalités étrangères ! », a alors fustigé un diplomate.

 

Outre la mise en oeuvre de la politique étrangère, le ministère est aussi chargé de défendre les intérêts stratégiques de l’Etat et des ressortissant français, et d’assurer le rayonnement politique, économique et culturel de la France dans le monde.

 

Les relations bilatérales sont donc capitales pour la diplomatie française. Le MAEE doit nouer et entretenir des relations avec les partenaires de la France. Il doit écouter, expliquer, négocier, et tenter d’approfondir les dialogues avec les pays, les cultures, les civilisations.

 

Les chefs de missions, et l‘ensemble personnel travaillant à l’étranger, ont également une fonction de représentation. Selon le décret du 1er juin 1979 relatif aux pouvoirs des ambassadeurs et à l'organisation des services de l'Etat à l'étranger, s’est d’ailleurs leur fonction première. Il ne s’agit pas seulement d’assister à des réceptions et manger des petits fours, ils doivent établir des relations privilégiées auprès des organes directeurs et des autres chefs de mission. Ils représentent le chef de l’Etat ainsi que le gouvernement. Ils ont donc un pouvoir d’action en cas de nécessité (crises, négociations etc.).

 

Mission « Diplomatie culturelle et d’influence »

Le MAEE est responsable de la diplomatie culturelle de la France, ou ce qu'on appelle plus crûment la diplomatie d'influence, ou comme les Anglo-Saxons, le soft ou le smart power.

 

Il s’agit pour le ministère d’assurer le rayonnement culturel de la France mais surtout de renforcer sa présence et son influence dans le monde, notamment par le biais de partenariats actifs dans les domaines culturels, scientifiques, techniques et universitaires.

Selon le Quai d’Orsay, les objectifs de cette diplomatie est de promouvoir la créativité culturelle et intellectuelle française par la promotion des industries culturelles et audiovisuelles et l'organisation de débats d’idées sur les thèmes transversaux à nos sociétés (immigration, bioéthique, laïcité, etc.) ; de repositionner le français comme langue internationale en formant les élites politiques et médiatiques et en aidant ses partenaires à former leurs professeurs de français.

 

Le ministère est aussi chargé de renforcer l’attractivité de l’enseignement supérieur comme moyen d’influence en encourageant la mobilité des meilleurs étudiants dans les disciplines prioritaires ; d’insérer la recherche française au cœur des réseaux en pointe sur les sciences du vivant, les nanotechnologies et sciences pluridisciplinaires, et associer les entreprises et pôles de compétitivité aux actions menées.

 

Il gère également le service public d’enseignement français à l’étranger et est en charge d’assurer la préservation des biens publics mondiaux et de promouvoir les idées de la France en matière d’enjeux globaux.

 

Pour mener ces actions, le MAEE s’appuie sur les opérateurs issus de la loi du 27 juillet 2010 sur la réforme de l’action culturelle extérieure de l’Etat.

 

Il s’agit notamment de l’Institut français, créé en 2011, qui a pour mission de favoriser les échanges artistiques internationaux et la coopération culturelle internationale. Selon Bernard Kouchner, ancien ministre des affaires étrangères, ce nouvel établissement public à caractère industriel et commercial «  a vocation à devenir l’instrument privilégié de la relance de notre action culturelle à l’étranger ».

 

Le Quai travaille également en étroite collaboration avec Campus France, une agence de promotion des formations et des échanges éducatifs et scientifiques, donc de l’enseignement supérieur français, également mis en place par la réforme de 2010; avec FEI (France Expertise Internationale), qui comme son nom l’indique est chargé de « vendre » l’expertise française à l’international ; et avec l’AEFE (Agence pour l’Enseignement Français à l’Étranger).

 

L’AEFE, créée en 1990, est un élément central dans le dispositif d'enseignement français à l'étranger. Il voit d’ailleurs son rôle être renforcé en 2010 dans le cadre de la réforme de l’action culturelle extérieure de l’Etat. Il a pour mission d’assurer le service public à destination des enfants français dont les familles résident à l’étranger; mais aussi de contribuer à la politique d’influence de la France en matière culturelle, économique et politique, notamment par l’accueil d’élèves étrangers, et de  renforcer les relations de coopération entre les systèmes éducatifs français et étrangers, par la promotion et la consolidation du projet pédagogique et éducatif français à l’étranger et une ouverture à la culture du pays d’accueil.

 

Par ailleurs, en 2010-11, le MAEE s’est rapproché de la Fondation Alliance Française. Il souhaite en effet que les  alliances françaises, bien implantées dans le monde et dont le modèle économique est de nature à répondre à la demande locale d’influence française, assurent une médiation auprès des institutions locales et contribuent à la modernisation de l’image de la culture, de l’économie et de la société française.

 

Pour beaucoup, la diplomatie culturelle est indispensable. Sa rentabilité est évidemment difficilement chiffrable mais in fine elle rapporte beaucoup, et coute très peu, en terme d’influence. C’est elle qui fait que la France est encore, malgré sa démographie, une puissance mondiale présente partout par l'esprit et la culture.

 

Cependant, ces dernières années, de nombreux spécialistes et personnalités s’inquiètent du manque de stratégie et de moyens de cette diplomatie d’influence et réclament une refonte du système.

 

En effet, les crédits consacrés à l’action culturelle de la France dans le monde entier ne cessent de baisser, l'enveloppe et le nombre de bourses destinés aux étudiants étrangers ont été réduits de 30 % depuis 2002, l’AEFE souffre d’un manque de financement qui risque de mettre en péril son avenir, de nombreux postes ont été supprimé (et vont continuer de l’être puisque une nouvelle réduction de 610 emplois, au titre du non remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, devrait être prise sur la période 2011-2013), et environ un tiers des centres culturels ont été fermés depuis 2000.

« L'action culturelle extérieure sert depuis trop longtemps aux gestionnaires du Quai d’Orsay de variable d'ajustement à la cure d'amaigrissement qui leur est imposée. Au moment où nos partenaires et concurrents britanniques, avec le British Council, allemands avec le Goethe-Institut, espagnols avec les Institut Cervantès, augmentent fortement les moyens consacrés à la diplomatie d'influence, où la secrétaire d'Etat américaine, Hillary Clinton, a fait de la diplomatie dite de l'intelligence une priorité de son action, comment expliquer que notre pays soit le seul à réduire fortement les crédits consacrés à l'action culturelle ? » écrit Catherine Tasca, ancienne ministre d la Culture (2000-2002) dans une tribune publiée dans le Monde en février 2010.

 

Dans les centres culturels eux-mêmes, on assiste à une dérive inquiétante. On cesse de favoriser l'enseignement du français pour consacrer une grande partie des crédits à l'action artistique, souvent coûteuse. Faire venir une exposition ou une troupe prestigieuse est une très bonne initiative si on en a les moyens, mais certains argumentent qu’ une fois la troupe ou l'orchestre reparti, le public local a vite oublié, tandis que les centaines ou les milliers d'étudiants qui prennent des cours de français deux ou trois fois par semaine constituent une clientèle fidèle qui reste longtemps liée à la France.

 

En outre, les Alliances françaises n'existent pas partout et ne dépendent pas directement du MAEE. Comme les activités culturelles sont elles aussi victimes des coupes budgétaires, les directeurs de centres sont de plus en plus obligés de trouver des "sponsors" locaux, ce qui est de plus en plus difficile mais surtout, soutiennent certains, aliène l’indépendance de la France.

 

Autre point, l'action culturelle de la France est extrêmement dispersée entre un réseau de 144 centres culturels français à l'étranger, 154 services culturels des ambassades de France. S’y ajoutent les alliances françaises et avant la réforme de 2010, l'association CulturesFrance (qui pilotait des grands évènements).  L'ensemble manque de visibilité et de cohérence.

 

Lorsque Bernard Kouchner annonce la modernisation du système en 2010, on souffle un peu. Mais à la lecture du texte, on est  profondément déçu.

 

A l'origine, la grande innovation de cette réforme était la création d'une grande agence, nommée Institut Victor-Hugo, chargée de la promotion de la culture française à l'étranger. Inspirée du modèle britannique avec le British Council,  l’idée était de fusionner les services culturels des ambassades et centres culturels français à l'étranger pour créer un réseau unique au monde, présent dans 160 pays. 

 

Mais tout au long de l'élaboration du projet de loi, Bernard Kouchner a fort à faire pour imposer ses vues. Les diplomates n’aiment pas l’idée d’échanger leurs services culturels contre une entité autonome. Le ministère, étant déjà de plus en plus démuni de ses missions depuis quelques années et surtout depuis l’arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy, est déterminé à garder la main sur le secteur culturel. Les ambassadeurs se font donc entendre en haut lieu, notamment à l'Elysée. Kouchner n’a alors d’autre choix que de reporter son projet de fusion de trois ans.

 

Sa réforme est vidée de substance. L’Institut français est alors créé « pour rendre plus cohérente l'action culturelle de la France dans le monde », mais il apparaît comme un compromis, est qualifié de réformette. On peine à croire que sa mise en place permettra d’améliorer la situation.

 

Au ministère, on jure  que l'objectif reste la fusion mais selon certains observateurs, on a assisté à l'enterrement d'une grande idée. Rendez-vous en 2013 pour en avoir le coeur net…

 

Mission « Solidarité »

Dans le cadre de sa politique extérieure, La France mène également des actions de solidarité envers les pays en développement ou victimes de catastrophe.

Le MAEE est donc chargé de suivre l’action des organisations internationales ainsi que les contributions internationales de la France au système des Nations unies et aux institutions européennes.

 

Il assure également la politique de coopération avec les pays en développement et suit les projets de coopération de sécurité et de défense (hormis la coopération militaire opérationnelle qui relève du ministère de la Défense). Il met notamment en œuvre l'aide bilatérale française dans les pays pauvres, pour l'atteinte des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) et l'amélioration de la gouvernance démocratique.

 

Il soutient aussi les pays émergents à enjeux globaux, moins dépendants de l’aide et  plus ciblés dans leurs demandes ainsi que les pays touchés par les crises, que celles-ci résultent de catastrophes naturelles ou de conflits politico-militaires.

 

Ces actions sont menées par la direction générale de la mondialisation, du développement et des partenariats (DGM) du Quai d’Orsay, mise en place en 2009 et auquel contribuent aussi la direction des Nations unies, des organisations internationales, des droits de l’Homme et de la francophonie, le Centre de crise et la direction de la communication et du porte-parolat. Ces directions s’appuient sur de nombreux opérateurs comme l’AFD (Agence française de développement), le GIP Esther (Ensemble pour la solidarité thérapeutique), CFI (Canal France International) et le GIP pour l’éducation numérique en Afrique.

 

La politique de coopération a pour but de prolonger et soutenir l’action de la France dans les Etats concernés et une grande partie de ces projets est menée en Afrique.

 

Mission « Affaires consulaires »

Le Ministère gère le réseau consulaire français à l'étranger. Ceci est très fortement lié à la diplomatie, dans la mesure où il faut être en bon terme avec le maximum de pays dans le monde pour assurer une présence française dans la plupart des pays. En 2011, la France est présente dans tous les pays du monde, sans exception.

 

Le Quai d’Orsay négocie et gère les accords internationaux touchant à la situation des personnes (circulation, fiscalité, sécurité sociale). Il est chargé de fournir aux Français établis ou de passage hors de France les services publics essentiels, c’est-à-dire la panoplie des services consulaires, mais aussi une assistance sociale.

 

Les consulats et les ambassades fournissent des services administratifs aux Français de l’étranger (délivrance d’actes d’état civil, documents d’identité et de voyage, élections etc.), et participent à la promotion de l’emploi et de la formation professionnelle.  

 

Ils assurent aussi la protection des ressortissants et des intérêts français à l’étranger. Ils ne peuvent pas "sauver" les français qui enfreignent la loi du pays, mais ils s'assurent que, en cas d'arrestation, les conventions internationales sont bien respectées.

 

En cas de crise majeure, c’est le ministère (ambassades, consulats et le Centre de crise de l’administration centrale) qui coordonne le rapatriement des ressortissant français.

Il travaille en liaison avec le ministère de Intérieur pour tout ce qui concerne les documents d’identité et de voyage, élections, état civil, et avec le ministère de la  Justice pour les questions d’adoption internationale, de conventions bilatérales, notariat.

Le Quai d’Orsay participe également à la définition et à la mise en œuvre de la politique en matière d'entrée, de séjour, d'établissement et d’asile des étrangers en France ; et les consulats instruisent les demandes de visas des étrangers.

 

Pour mener les missions qui lui incombent, le ministère des Affaires étrangères est aidé par l'ensemble du réseau diplomatique et consulaire français, qui englobe presque 400 représentations de la France à l'étranger (162 ambassades et 235 consulats généraux et consulats). Avec 16 000 agents dont deux tiers à l’étranger, le réseau est le deuxième plus important en terme du nombre des représentations après celui des États-Unis.

 

Au delà des diplomates, c’est une centaines de métiers : policier, gendarmes, médecins, universitaires, traducteurs, cuisiniers, informaticiens, juristes, conservateurs de patrimoine etc.

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Où va l’argent

Une grande partie de l’enveloppe attribuée au Quai d’Orsay est allouée à la mission « Action de la France en Europe et dans le monde ». Cette dernière rassemble l’ensemble des moyens du ministère, à l’exception de ceux qui sont dévolus aux actions spécifiquement destinées aux affaires consulaires, à la coopération scientifique, technique et culturelle, et à l’aide publique au développement. Globalement, ils représentent près d’un tiers des crédits et la moitié des emplois du ministère.

 

Les principaux objectifs de cette mission sont la construction de l’Europe, le renforcement de la sécurité internationale et des Français, la promotion du multilatéralisme ainsi que la disposition d’un outil diplomatique efficient et de qualité.

 

Le ministère réserve des crédits d’intervention au Secrétaire d’Etat aux affaires européennes, aux experts français détachés auprès des institutions de l’UE et à ceux envoyés dans des missions établies par l’UE ou l’OSCE.

 

Il dépense également une certaine somme pour le renforcement du rôle de Strasbourg comme capitale européenne. Ces crédits pourraient cependant être suspendus puisque la capitale d’Alsace serait semble-t-il menacée. Une partie des eurodéputés, lassés des voyages à répétition entre Bruxelles et Strasbourg souhaite en effet déménager le Parlement européen et toutes les activités parlementaires dans la capitale belge, au grand dam de la France qui a annoncé en mai 2011 qu’elle allait saisir la Cour de Justice de l’UE. Si certains arrangements et compromis ont déjà été faits, aucune décision n’a encore été prise.

 

Le budget recouvre aussi les crédits relatifs aux contributions que la France doit verser au budget des 72 organisations internationales et européennes auxquels elle est partie, aux opérations de maintien de la paix décidées par l’ONU. Ces contributions dites « obligatoires » permettent à la France d’être un acteur de premier plan sur la scène internationale et sur les questions globales telles que la sécurité, l’environnement, le commerce ou encore l’énergie.

 

En outre, le ministère finance les projets de coopération de sécurité et de défense, dont les orientations sont fixées en Conseil de Défense et qui sont généralement  mis en œuvre en liaison avec les directions géographiques concernées. Ils sont menés en partenariat avec des Etats étrangers, en grande majorité en Afrique sub-saharienne. Toutefois, ces crédits ne comprennent la coopération militaire, qui relève du ministère de la Défense.

 

Enfin, le budget porte également les moyens dévolus au fonctionnement de l’administration centrale du ministère, y compris les dépenses du personnel, et au Centre de crise.

 

Le MAEE consacre également une partie de son budget à sa diplomatie culturelle et d’influence, qui regroupe l’ensemble des politiques de coopération (culturelle, linguistique, universitaire, enjeux globaux), considérées comme des vecteurs d’influence pour la France.

 

Les moyens accordés à cette mission sont donc utilisés pour favoriser  la créativité culturelle et intellectuelle française auprès des pays étrangers, promouvoir la langue française dans le monde, assurer le service d’enseignement français à l’étranger; renforcer l’attractivité de l’enseignement supérieur et de la recherche (notamment par le biais de bourses), assurer la préservation des biens publics mondiaux et promouvoir les idées de la France en matière d’enjeux globaux (l'environnement, la santé, la stabilité financière et économique, la sécurité alimentaire et la diffusion de la connaissance).

Ce dernier objectif a été intégré dans le budget en 2010. Le MAEE apporte une contribution financière à des projets (par des bourses, des échanges d'expertise ou des subventions) qui concernent ces sujets. Le centre culturel de Pékin par exemple a reçu en 2010 une subvention pour organiser un cycle de conférences sur l'environnement et l'ambassade de France au Mali a participé au financement d'un congrès francophone de chirurgie.

 

Les dépenses d’animation du réseau et de fonctionnement représentent un peu moins de 70% des crédits alloués à la diplomatie culturelle et d’influence. Elles comprennent les subventions accordées à ses opérateurs : l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE), à l'Institut français, ainsi qu’au nouvel établissement public CampusFrance.

 

Elles incluent également les dépenses de personnel du réseau culturel, c’est- à-dire de la direction générale de la mondialisation, du développement et des partenariats, des services de coopération et d'action culturelle (SCAC) des ambassades, du réseau des Alliances françaises, les aides aux établissements à autonomie financière culturels et de recherche ainsi que l'assistance technique mise à la disposition des institutions des pays partenaires.

 

Le reste du budget du MAEE est consacré à l’animation du réseau consulaire et à la politique d’aide publique au développement de la France (dépenses du personnel et crédits de coopération bilatérale et multilatérale). En 2011, une grande partie des moyens attribués à cette dernière a servi au Fonds européen de développement (FED) et au Fonds Mondial de lutte contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme.

 

Par ailleurs en 2011, une enveloppe spéciale de 80 M€ a été accordée au ministère pour couvrir les dépenses liées à la Présidence française du G8 et du G20, notamment pour la préparation, l’organisation et le déroulement des Sommets.

 

Le budget du ministère des affaires étrangères a toujours été très réduit. Il n’a jamais représenté plus de 1,3 % du budget de l’Etat, et depuis plusieurs années, il ne cesse de baisser.

 

En vingt-cinq ans, il a perdu plus de 20% de ses moyens financiers et de son personnel. Mais depuis que la Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP) a été lancée en 2007,  la situation ne cesse d’empirer.

 

En effet, en application de la règle de non remplacement d'un fonctionnaire sur deux, le Quai a perdu 700 empois sur la période 2009-2011 et devrait en supprimer encore 450 en 2012-2013, soit environ -7 % en 5 ans. Selon Alain Juppé et Hubert Védrine, qui ont pris la plume en juillet 2010 dans Le Monde pour décrire « un affaiblissement sans précédent », cela représente d’ailleurs trois emplois sur quatre de départs en retraite, soit plus que la règle générale d’un sur deux.

 

« Tous les ministères doivent évidemment contribuer à la réduction des dépenses publiques, mais aucune administration n’a été réduite dans ces proportions. Cela s’explique en partie parce que les préjugés sont nombreux et tenaces contre "les diplomates" (pourtant rémunérés selon les mêmes grilles que l’ensemble de la fonction publique), et que le métier diplomatique est rarement expliqué alors qu’il est indispensable à la défense des intérêts de notre pays, » s’indignent-ils.

 

Bernard Kouchner, alors ministre des affaires étrangères réfute ces observations, lui aussi dans une tribune parue dans le Monde trois jours plus tard : « si, pendant vingt ans, le budget du ministère a fortement diminué, aujourd'hui il ne baisse plus. Depuis mon arrivée en 2007, il a augmenté de 9,1 %. En 2011, il augmentera de 4,5 %. Tous les ministères régaliens ne peuvent pas en dire autant, dans un contexte où l'Etat doit économiser 10 milliards d'euros en trois ans. »

 

En effet, en voyant les chiffres, on pourrait se méprendre, le budget 2011 s’élevant à 5,1 milliards d’euros contre 4,9 en 2009. Mais comme l’explique Jean-Pierre Farjon, secrétaire général du syndicat CFDT au ministère des affaires étrangères, l’examen de la loi de finances 2011, et son exécution, révèle que cette "augmentation" est un simple artifice comptable, qui résulte du transfert sur les lignes budgétaires du Quai de dépenses jusqu'alors inscrites sur celles d'autres ministères. Le budget du ministère est bel et bien en recul, aussi bien en fonctionnement qu'en investissement.»

 

Le budget effectif du ministère n'est en réalité que de 3 milliards environ, ce qui est largement insuffisant pour financer un réseau mondial et conduire une politique d'influence ambitieuse.

 

La diplomatie culturelle a été sévèrement touchée et ne dispose plus que d'un budget dépassant à peine les 200 millions d'euros, soit l'équivalent de celui de deux grandes écoles françaises comme Polytechnique, ou du tiers du coût de nos opérations militaires en Afghanistan. Le budget des bourses données à des étrangers est aussi en chute libre, passant de 105 millions d'euros en 2006 à 61 millions d'euros en 2010.

 

Les contributions volontaires aux programmes des Nations unies, qui témoignent de l’attachement de la France au multilatéralisme et aux valeurs humanistes et de solidarité, ont diminué de moitié en trois ans : avec un total de 48 millions d'euros, la France devient un contributeur secondaire. Elle n'est plus qu'au 17e rang des contributeurs du Haut-Commissariat pour les réfugiés ou de l'Unicef, au 15e rang de l'Unwra (Aide aux 4 millions de réfugiés de Palestine), etc. On pourrait multiplier les exemples.

 

Pour Juppé et Védrine, « les économies ainsi réalisées sont marginales. En revanche, l’effet est dévastateur : l’instrument est sur le point d’être cassé, cela se voit dans le monde entier. Tous nos partenaires s’en rendent compte. »

 

Or, comme le relève le Livre blanc sur la politique étrangère et européenne de la France, « on ne peut réduire indéfiniment les effectifs et les moyens sans remettre en cause les ambitions européennes et internationales assignées à notre action extérieure ».

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Polémiques:

Politique étrangère : le match MAEE vs Elysée

Depuis une dizaine d’années, le ministère des Affaires étrangères connaît une crise sans précédent.  Coupes budgétaires régulières, diminution des effectifs, ministres accusés (à tort ou à raison) d’amateurisme, structures obsolètes, clichés de l’ambassadeur avec petit-four, tasse de thé et chocolat …ne sont que quelques unes des raisons qui rendent les diplomates français moroses et dépités.

 

Ils se sentent dépossédés. Le budget accordé au Quai ne représente qu’environ 1 % du budget de l'Etat, soit à peu près le même coût que le ministère des anciens combattants.. Par ailleurs, 60 % de l’enveloppe ne fait que transiter par lui puisque une grande partie de celle-ci sert pour les contributions obligatoires de la France aux organisations internationales, Union européenne comprise.

 

En juillet 2010, Alain Juppé et Hubert Védrine, tous deux anciens ministres des Affaires étrangères, et inquiets du sort et de l’avenir du Quai d’Orsay, écrivent un article intitulé "Cessez d'affaiblir le Quai d'Orsay !", dans lequel ils décrivent leur ancienne maison comme un instrument diplomatique « sur le point d’être cassé », subissant « un affaiblissement sans précédent » Selon eux, « en vingt-cinq ans, le ministère des affaires étrangères a déjà été amputé de plus de 20% de ses moyens financiers ainsi qu’en personnels. »

 

Autre problème, une partie de l'opinion et des dirigeants remet en cause la nécessité même d'avoir une diplomatie active. Le MAE est de plus en plus dépouillés de ses dossiers et joue un rôle de moins en moins important dans les négociations internationales. Désormais les questions internationales liées à l’économie, à  la santé, à l'environnement et même aux visas sont traitées par d'autres ministères. C’est Jean-Louis Borloo, ministre de l’Ecologie en 2010 qui, par exemple, est chargé des négociations sur le climat en 2010, en dépit du fait que c'est justement le coeur de métier du Quai, avec toute une ingénierie diplomatique et une expertise réelle.

 

De plus, de nombreux enjeux globaux sont maintenant traités lors de sommets internationaux comme le G8 ou le G20. Et le rôle des diplomates apparaît de moins en moins clair.

 

Par ailleurs, si la politique étrangère a toujours été, sous la Ve République, le « domaine réservé » du chef de l'Etat, elle n'a jamais été autant sous la tutelle de l'Elysée que depuis l'arrivée de M. Sarkozy. Au risque d'affaiblir les outils de la diplomatie. Il semblerait que le président définisse sa propre politique étrangère sans tenir compte des analyses des ambassades.  Une politique étrangère que beaucoup de spécialistes qualifient «  de diplomatie de crise », peu soucieuse du long terme et faite de coups médiatiques.

« Les gesticulations présidentielles ne semblent s'épanouir que dans l'immédiateté de la crise (Géorgie, Cote d'Ivoire, Libye), dans le but d'entretenir une image de volontarisme et de dynamisme auprès de l'électorat, » écrivent Catherine Fraissinet et Henry Olivier, spécialistes des questions internationales pour la Fondation Jean-Jaurès dans un article du Monde, La politique étrangère française est devenue déséquilibrée, paru en juin 2011.

Certains câbles Wikileaks  ont révélé que le MAE « était à la traîne, soit court-circuitée par la diplomatie parallèle de Robert Bourgi (un proche de Claude Guéant) ou tout simplement par le président Sarkozy omniprésent dans tous les domaines. Les diplomates américains exprimaient eux même leur incompréhension face à une telle lutte d’influence qui minait la diplomatie française et ne pouvait que constater l’influence croissante des réseaux parallèles comme celui de Bourgi qui profitaient de la confusion et du désordre pour étoffer leurs carnets d’adresse et s’enrichir, » peut-on lire sur le site Opération Leakspin.

 

Résultat, les diplomates ont l’impression de ne servir à rien, ou pire, de bouc-émissaires. Ils sont en colère. En février 2011, un groupe de diplomates français (de générations et de points de vu politiques différentes, certains actifs, d'autres à la retraite) dénonce la politique étrangère de Nicolas Sarkozy dans une tribune anonyme signée par le « groupe Marly », et parue dans Le Monde.

 

« A l'encontre des annonces claironnées depuis trois ans, l'Europe est impuissante, l'Afrique nous échappe, la Méditerranée nous boude, la Chine nous a domptés et Washington nous ignore ! Dans le même temps, nos avions Rafale et notre industrie nucléaire, loin des triomphes annoncés, restent sur l'étagère. Plus grave, la voix de la France a disparu dans le monde. Notre suivisme à l'égard des Etats-Unis déroute beaucoup de nos partenaires (…) Notre politique étrangère est placée sous le signe de l'improvisation et d'impulsions successives, qui s'expliquent souvent par des considérations de politique intérieure».

 

Ils accusent le président de vouloir les rendre responsable des déboires de sa politique, en particulier à l’égard de la Tunisie ou de l'Egypte lors du printemps arabe, alors que c’est l’Elysée qui aurait pris, seule, toutes les décisions sans tenir compte des conseils du MAE.

 

Et « à l'écoute des diplomates, bien des erreurs auraient pu être évitées, imputables à l'amateurisme, à l'impulsivité et aux préoccupations médiatiques à court terme. »

Selon eux, « la voix de la France a disparu dans le monde. »

 

La tribune déclenche de nombreuses réactions. Axel Poniatowski président de la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale et Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, par exemple rétorquent dans une autre tribune, La diplomatie française est malmenée de l'intérieur, publiée en mars 2011, « que plus que jamais la réactivité est vitale, dans un monde où le sort d'un otage, d'une nation, d'une économie, peuvent se jouer en quelques instants . Crise russo-géorgienne, relance d'une Union européenne en panne institutionnelle avec le traité de Lisbonne, réforme du système monétaire international au pire moment de la crise, alors que la transition entre les présidents George W. Bush et Barack Obama faisait peser son inertie sur l'économie mondiale… N'en déplaise aux auteurs de petites polémiques surannées, la réactivité que déploie aujourd'hui le président de la République est un bel atout dans la gestion des crises du XXIe siècle. »

Henri Guaino, conseiller spécial de Sarkozy n’attend qu’une semaine pour répondre avec un article, également paru dans le Monde, dont le titre est explicit, Ce n'est pas aux diplomates de concevoir la politique étrangère de la France (notons tout de même que sur le site du MAEE, l’une des missions listée est justement « de concevoir la politique extérieure de la France »).

 

« Vous dites qu'elle (la voix) n'est pas audible. Vous n'écoutez pas bien. Elle n'a jamais été aussi entendue et l'on n'a peut-être jamais autant attendu d'elle dans le monde depuis au moins deux décennies. Sans la France, il n'y aurait pas eu le G20. Comment aurait tourné la crise financière ? La Géorgie existerait-elle encore ? Comment aurait évolué la crise de l'euro ? A Copenhague, la France a évité un échec total et, vous le savez bien, le blocage n'était pas diplomatique, mais politique. Suivisme à l'égard des Etats-Unis, dites-vous ? Mais où avez-vous vu la France à la remorque de quiconque ? Lors des deux derniers sommets de l'OTAN où la France s'est opposée aux Etats-Unis ? Au Liban ? Au G20 ? A Bruxelles ? A l'ONU ? Allons donc partout elle prend l'initiative. Impulsivité vis-à-vis du Mexique ? Mais oubliez-vous que le premier devoir d'un gouvernement est de protéger ses ressortissants quoi qu'ils aient pu faire ? Faut-il être indifférent au sort d'une jeune Française condamnée à soixante ans de prison ? »

 

Certes, tous ces arguments peuvent être débattus mais là n’est pas la question. Ce qu’il est intéressant de noter est que personne ne semble contester le fait que l’Elysée agisse de son propre chef et de manière, restons neutre, « rapide » sur les dossiers.

 

Les diplomates français peuvent donc en effet se demander quelle est la position du ministère des Affaires étrangères aujourd’hui et surtout quelle devrait-elle être? Doit-il jouer un rôle uniquement de mise en cohérence, de coordination ou un rôle plus stratégique, de conseil? La diplomatie française a-t-elle toujours sa place ?

 

Selon Henri Guaino, il ne faut pas confondre politique étrangère et diplomatie: « la diplomatie est une technique, alors que la politique étrangère, comme son nom l'indique, est de la politique (…) Le diplomate est là pour éclairer la décision et pour la mettre en oeuvre, non pour la prendre (…) A la bureaucratie, aussi experte soit-elle, de peser indéfiniment le pour et le contre. A la politique d'être ce qu'elle doit être : une force de transgression qui fait des paris raisonnés sur l'avenir et dont on jugera la pertinence à l'aune des conséquences. »

 

Le groupe Marly, lui veut une politique étrangère fondée sur la cohérence, l'efficacité et la discrétion,  « être au service d'une politique réfléchie et stable (…) il y a lieu de préciser nos objectifs sur des questions essentielles telles que le contenu et les frontières de l'Europe de demain, la politique à l'égard d'un monde arabe en révolte, nos objectifs en Afghanistan, notre politique africaine, notre type de partenariat avec la Russie. »

Il souhaite « une réflexion de fond à laquelle ils (les diplomates) sauront apporter en toute loyauté leur expertise. Ils souhaitent aussi que notre diplomatie puisse à nouveau s'appuyer sur certaines valeurs (solidarité, démocratie, respect des cultures) bien souvent délaissées au profit d'un coup par coup sans vision. »

 

L’ironie dans tout cela est, que si l’on met de coté le fait que les deux partis ont des opinions différentes sur la politique étrangère française, et que l’on ignore le ton plutôt condescendant d’Henri Guaino qui taxe le Quai de simple bureaucratie,  tout le monde semble plus ou moins d’accord sur le rôle à proprement parlé du diplomate et du ministère.

 

Alain Juppé l’a d’ailleurs bien résumé dans son article "Cessez d'affaiblir le Quai d'Orsay !", « dans la compétition multipolaire, où tout se négocie en permanence avec un grand nombre d’interlocuteurs qu’il faut connaître avec précision, la France a plus que jamais besoin de moyens d’information et d’analyse. Les autres ministères présents à l’étranger (finances, défense) sont essentiels aussi et ont leur fonction propre. Le rôle du Quai d’Orsay est de rendre cohérentes toutes les formes de notre présence, ce qui est la clé de notre influence. »

 

Espérons alors qu’il arrive à réconcilier l’Elysée et les diplomates, et surtout que chacun reste dans ses attributions et respecte le travail des autres. Mais s’il est vrai que l’arrivée de cette personnalité de poids au Quai d'Orsay peut être interprétée comme un moyen de reprendre l'initiative, il ne faut pas sous-estimer la volonté de Nicolas Sarkozy…de prendre les décisions…comme le confirme l’incident de l’annonce de la reconnaissance par la France du Conseil libyen en mars 2011.

 

Le « ratage » de la France face à la révolte tunisienne

La réaction de la France face au soulèvement du peuple tunisien contre le régime qui l'oppressait en janvier 2011 a provoqué l’indignation de l’opinion publique et de la classe politique française, en particulier dans les partis d ‘opposition notamment le Parti Socialiste.

 

La diplomatie française a donné l'impression d'appuyer jusqu'au bout le régime du président tunisien, Ben Ali, ne montrant aucun signe de soutien aux revendications de démocratisation exprimées par les manifestant, et qui ont conduit à la fuite du dictateur, au pouvoir depuis vingt-trois ans, en Arabie saoudite.

 

Les protestations, qui débutent le 17 décembre 2010, ont duré quatre semaines. Tout le long, la France aura fait profil bas, se limitant à appeler à l'apaisement sans jamais dénoncer la répression policière, ni l'emploi de tirs à balles réelles des forces de l'ordre, qui ont provoqué au moins 66 morts en un mois, selon les organisations de défense des droits de l'homme.

 

Le 11 janvier, alors que la contestation gagne Tunis et que le gouvernement vient d’établir un bilan de 21 civils tués par balles depuis le début des troubles, la ministre des affaires étrangères, Michèle Alliot-Marie propose devant l’Assemblée nationale une coopération policière.

 

La France veut faire bénéficier la Tunisie du « savoir-faire de [ses] forces de sécurité », afin de « régler des situations sécuritaires de ce type », explique la ministre, afin que « le droit de manifester soit assuré, de même que la sécurité ». L'« apaisement peut reposer sur des techniques de maintien de l'ordre », estime Mme Alliot-Marie.

 

Mme Alliot-Marie évoque des « troubles sociaux de grande ampleur », sans parler de l’aspect politique des revendications des manifestants, qui dénoncent un pouvoir confisqué par la famille Ben Ali et s'en prennent aux affiches du chef de l'Etat. « Plutôt que de lancer des anathèmes, notre devoir est de faire une analyse sereine et objective de la situation », commente-t-elle.

 

La France propose même un accroissement de l'aide à la Tunisie, notamment au niveau européen, pour dénouer la crise.

 

Lorsque deux jours plus tard, M. Ben Ali annonce à la télévision qu’il renonce à briguer un nouveau mandat présidentiel en 2014 et annonce la fin des tirs à balles réelles de la police ainsi qu’un rétablissement de la liberté de la presse, le Quai d'Orsay, sur instructions de l'Elysée,  note positivement ces décisions « en faveur de l'ouverture politique et démocratique de la Tunisie » et « encourage les autorités tunisiennes à poursuivre sur cette voie ».

 

Et lorsque le régime tunisien tombe, les autorités françaises se réfugient derrière des communiqués succincts tout en se défendant d'avoir fait preuve de myopie sur la crise tunisienne. Le message de la diplomatie française aurait été pragmatique. Ce n'est pas le rôle de la France de dire si Ben Ali doit partir mais d’aider la Tunisie à résoudre ses problèmes.

 

Pourquoi la France n'a-t-elle pas écouté les opposants tunisiens, qui qualifiaient le régime de dictature violente et dénonçaient son caractère criminel ?

 

Plusieurs hypothèse sont alors avancées. A l’Elysée, on remet la faute sur les ambassadeurs. Quand le mouvement de contestation a commencé, les informations remontant des ces derniers parlaient alors d'un simple mouvement social, ce qui a empêché le gouvernement français de prendre la juste mesure de la « désespérance d'un peuple frère ».

 

Les ambassadeurs ripostent que c’est l’Elysée qui n’a pas pris en compte les conseils et les analyses du Quai d’Orsay.

 

D’autres pensent que la diplomatie française souffre d’un éloignement vis-à-vis de sa propre société civile et des mouvements démocratiques étrangers et qu’elle pratique encore une diplomatie des Etats et non une diplomatie des peuples.

 

Certains vont plus loin et accuse le gouvernement français de vouloir protéger ses intérêts économiques avant tout. On soupçonne Michèle Alliot-Marie (MAM) de vouloir aider ses « amis » tunisiens. En effet, le Canard Enchainés révèle alors que MAM a effectué deux trajets à bord d'un avion appartenant à un homme d'affaires associé au clan Ben Ali-Trabelsi au moment des émeutes et que ses parents ont profité du séjour tunisien de la famille en décembre 2010 pour acheter à Aziz Miled, propriétaire de l'avion, des parts dans une société civile immobilière (SCI). Le fait qu’elle mente face à n’aide pas à sa crédibilité. 

 

Résultat, après à peine quelques mois à la tête du Quai d’Orsay, Mme Alliot-Marie est contrainte de démissionner.

 

Aujourd’hui le gouvernement français, cherche à reconstruire sa politique extérieure face aux bouleversements historiques à l'oeuvre dans le monde arabe, car avec le « printemps du Jasmin », la crédibilité et l'influence de la France dans des régions stratégiques sont en jeu.

 

Le Quai d’Orsay  doit reformuler un message en direction de 400 millions d'Arabes et trouver le moyen de gagner leur confiance, alors qu‘il a complètement ratée le départ de la révolution et perdu ses principaux points d'appui: l'« ami » Ben Ali en exil ; le « raïs » égyptien Hosni Moubarak chassé ; l'Union pour la Méditerranée en coma prolongé). Il doit également rebondir après l'échec de sa politique de réconciliation menées avec le Syrien Bachar Al-Assad depuis 2007, qui est désormais frappé de sanctions européennes, et avec Mouammar Kadhafi, soumis à une campagne de bombardements trois ans après avoir été reçu avec les honneurs à l'Elysée.

 

Depuis sa nomination à la tête du Quai d’Orsay le 27 février 2011, Alain Juppé ne cesse de prôner les valeurs démocratiques. Il cherche à mettre la diplomatie française en mouvement et surtout à renouer le dialogue avec les peuples arabes.

 

Le remplacement deus semaines plus tard de Pierre Ménard, l’ambassadeur de France en Tunisie lors des révoltes, par l’ambassadeur-star du sarkozysme, Boris Boillon, jusqu'ici à Bagdad, n’est pas franchement prometteur. En effet, M. Boillon incarne la diplomatie du business quand la priorité devrait être de renouer avec la société civile.

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Ministère des Affaires étrangères et du Développement international

Laurent Fabius
Ministre des Affaires étrangères

Né le 20 aout 1946 dans une riche famille d’antiquaires d’origine juive ashkénaze, le biographe de Laurent Fabius, Jean-Gabriel Fredet, écrit dans « Les Brûlures d’une ambition » (Hachette Littératures en 2002) : « Le nom de Fabius remonte à son arrière-arrière-grand-père Joseph, né en Moselle, commis-marchand de son état, qui s’appelait en réalité Lion et choisit de prendre Fabius comme patronyme lorsqu’en 1808 les Juifs reçurent le droit de porter un nom de famille ».

Le paradoxe du grand bourgeois socialiste

Tout le temps de sa vie politique cette origine grand bourgeoisie lui sera reprochée tant par ses détracteurs que par certains de ses alliés du parti socialiste. Elie Fabius, le grand-père, fut l’un des principaux acteurs du marché de l’art des années 1882-1942. La saga Fabius s’explique par des éclairs de génie. Jean-Gabriel Fredet relate ainsi dans «  Les brûlures d’une ambition », qu’André, le père de Laurent Fabius avait jeté son dévolu sur une toile posée à même le sol dans une vente sans importance. Une fois nettoyée et expertisée, l’œuvre se révéle être un Georges de La Tour ! Aujourd’hui, elle est baptisée « La madeleine Fabius ».

Laurent Fabius ne suivra pourtant pas la voie familiale, c’est son frère François Fabius qui reprend le flambeau jusqu’à son décès en 2006. Et c’est en 2011 après 129 ans d’existence, que la galerie Fabius Frères ferme ses portes. La collection est éparpillée aux enchères en octobre de la même année,  pour un montant de 9,6 millions d’euros. 400 lots sont mis en vente dont une paire de vases Médicis en porcelaine de Sèvres (1811), acquise par le Metropolitan museum de New York pour 983 150 euros. Des records ont été enregistrés pour des œuvres du sculpteur valenciennois du XIXe,  Jean-Baptiste Carpeaux,  ou Claude Gillot, un peintre du début XVIIIe. A cette occasion, les rapports ambigus entre les socialistes et l’argent fait à nouveau la Une des journaux. A Dominique Strauss-Kahn les pâtes aux truffes et la place des Vosges, où il est voisin de Jack Lang, tandis que Laurent Fabius habite place du Panthéon.

L’enfance et l’adolescence du jeune Laurent est calme et heureuse. Il est élève au lycée Janson-de-Sailly, dans le XVIe arrondissement de Paris et après le baccalauréat, il s’inscrit en hypokhâgne au lycée Louis-le-Grand puis est admis à l’École normale supérieure, où il est reçu major à l’agrégation de lettres modernes. Il intègre en parallèle, l’Institut d’études politiques de Paris. Lors de ces études à Sciences-Po, il est responsable de la Conférence Olivaint, organisation catholique, qui devient alors plus laïque. Il intègre ensuite l’École nationale d’administration, promotion François Rabelais (1971-1973), il effectue son stage en préfecture dans le Finistère. Il sort dans les trois premiers et devient auditeur au Conseil d’État. Peu après sa sortie de l’ENA, en 1974, Laurent Fabius adhère au Parti socialiste. Il est élu premier adjoint au maire du Grand-Quevilly en 1977, puis devient député de la quatrième circonscription de la Seine-Maritime. En 1979, sur recommandation de Jacques Attali, il devient directeur de cabinet de François Mitterrand et travaille à ses côtés jusqu’à sa victoire de 1981. Il le défendra avec vigueur lors du congrès de Metz en avril 1979, en affirmant contre Michel Rocard que : « Entre le Plan et le marché, il y a le socialisme ».

 

Une carrière politique précoce

 En 1981, à la suite de la victoire de François Mitterrand à l’élection présidentielle d’avril-mai, il est nommé ministre du Budget et instaure l’Impôt sur les grandes fortunes, l’ancêtre de l’Impôt de solidarité sur la fortune qui sera abolie en 1987 par le gouvernement de Jacques Chirac. Les œuvres d’art étant exclues de l’assiette de recouvrement de l’impôt nouvellement créé, une polémique visant directement Laurent Fabius enfle, la fortune familiale de ses parents étant  bâtie sur le commerce des œuvres d’art. Mais il conteste être à l’origine de cette mesure. Selon la biographie de Jean-Gabriel Fredet, c’est Jack Lang, alors ministre de la Culture, qui aurait obtenu cette exonération, contre l’avis de Fabius.

Au sein du gouvernement, Laurent Fabius plaide un temps l’application fidèle du programme de la gauche mais se ravise très vite en se ralliant finalement au  « tournant de la rigueur » voulu par Pierre Mauroy alors Premier ministre. Dans le cadre de ses fonctions, François Mitterrand le charge en 1983 d’examiner l’opportunité d’une sortie du Système monétaire européen (SME). Il en démontre, portant, les inconvénients et le président Mitterrand décide au final de suivre les recommandations de son ministre et de maintenir la France dans le SME. Lors d’une interview pour l’Institut François Mitterrand le 21 mars 2005, François Stasse, conseiller économique du président François Mitterrand de 1981 à 1984, expliquait : « le Président a quand même choisi l’option européenne. Je pense que la perspective d’une France isolée en Europe lui était insupportable au moment même où la menace soviétique continuait d’exiger la solidarité franco-allemande dont il a fait preuve lors de son fameux discours au Bundestag. J’ajoute, malgré ce que je viens de dire sur sa réticence à l’égard de toute science économique, que je ne crois pas que les partisans de l’« autre politique » aient réussi à le convaincre que cette option lui laisserait les mains plus libres pour atteindre les objectifs économiques et sociaux du programme de 1981 »

Puis en 1983, Laurent Fabius est nommé ministre de l’Industrie et de la Recherche, et ministre de la Modernisation industrielle du temps où les plus importantes entreprises industrielles étaient dans le giron de l’État. Dans cette fonction, il a entrepris de profondes restructurations socialement difficiles qui lui ont acquis l’estime de nombreux dirigeants d’entreprise mais le fâche avec la CGT.

 

Premier ministre à 37 ans…

Sa carrière politique déjà fulgurante gravit un échelon décisif lorsqu’il devient premier ministre en 1984. À la suite de l’échec du projet de réforme de l’éducation mise en œuvre par Alain Savary, François Mitterrand décide de changer de Premier ministre, et remplace Pierre Mauroy par Laurent Fabius le 17 juillet 1984. À 37 ans, il est le plus jeune Premier ministre de la Vème République. Arrivé dans une situation de crise, il poursuit la « politique de la rigueur » de Mauroy afin de maîtriser la dette de l’État et l’inflation. Dans son discours d’investiture, il propose de « moderniser et rassembler » le pays. Mais le Parti communiste, qui critiquait la politique suivie depuis 1983, refuse de participer à son gouvernement et marque une cassure avec la gauche multiple de François Mitterrand.

Au poste de premier ministre, Laurent Fabius se distingue en empiétant parfois sur le champ de la diplomatie, domaine réservé du président de la République. Ainsi, en 1985, il prend fait et cause pour la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud et rencontre l’évêque anglican Desmond Tutu lors d’une grande réunion à Paris en mai 1985. A la suite de cette entrevue, il obtient que la France impose des sanctions au régime de Pretoria : embargo commercial, suspension de tout nouvel investissement français en Afrique du Sud, rappel de l’ambassadeur de France. Les sanctions s’étendent au domaine privé et à la demande du gouvernement Fabius, les écuries françaises de Formule 1 Ligier et Renault décident de ne pas participer au Grand Prix d’Afrique du Sud 1985. En juillet de la même année, lors d’une interview accordée au quotidien Le Matin, il dit de lui : « Au jeu des définitions, je dirais que je suis un socialiste moderne, pragmatique et amoureux de la liberté ».

Et sur cette voie, il persiste lorsqu’en décembre de cette même année 1985, il s’oppose à François Mitterrand qui invite le général Jaruzelski, chef de la République populaire de Pologne, au même moment où ce dernier réprime la contestation du syndicat Solidarność, conduit par Lech Wałęsa. Refusant de se taire, il exprime son trouble à la tribune de l’Assemblée nationale, puis à la télévision, ce qui provoque le mécontentement de Mitterrand. Mais le fougueux premier ministre passe outre et dénonce dans la foulée les excès du régime de Fidel Castro, alors même que Danielle Mitterrand et Jack Lang sont régulièrement invités par le chef de l’État cubain.

 

… et quelques scandales

Tout n’est pas rose et le passage de Laurent Fabius à l’hôtel Matignon entre 1984 et 1986 est marqué par deux scandales retentissants qui lui colleront à la peau pendant des années :

- L’affaire du Rainbow Warrior

En juillet 1985, le Rainbow Warrior, bateau de l’organisation écologiste Greenpeace mouille à Auckland en Nouvelle-Zélande. Son objectif suit une ligne politique et stratégique pour laquelle l’organisation milite depuis plusieurs années : emmener des bateaux vers l’atoll de Mururoa pour protester contre les essais nucléaires français et tenter de les empêcher. Coup de théâtre, le navire est coulé à 23 h 50 le 10 juillet, après son dynamitage par les « faux époux Turenge », qui sont en fait des agents des services secrets français. Or, un photographe sur place, Fernando Pereira, averti de l’explosion comme le reste de l’équipage décide d’aller récupérer son équipement photographique resté à bord. Las ! Il se retrouve pris au piège à l’intérieur du navire et meurt lors d’une seconde explosion.

Les faux époux Turenge sont tout de suite arrêtés par la police néo-zélandaise d’Auckland  à cause de la camionnette qu’ils ont louée pour récupérer les plongeurs chargés de placer les explosifs. Ces espions de la DGSE sont en fait le chef de bataillon Alain Mafart et le capitaine Dominique Maire, épouse Prieur. Ils sont identifiés comme étant les poseurs de bombe grâce à leurs empreintes digitales retrouvées sous le canot pneumatique qui avait servi à poser la bombe.

Un scandale international éclate. Laurent Fabius nie toute implication de la DGSE mais l’imminence de la publication de documents compromettants décide François Mitterrand à commander le 6 août, un rapport au conseiller d’État Bernard Tricot qui blanchit la DGSE. Le 17 septembre 1985, le journal Le Monde révèle l’existence d’une troisième équipe. Le lendemain, François Mitterrand réclame à Laurent Fabius des sanctions qui aboutissent le 20 septembre, par la démission du ministre de la Défense Charles Hernu et du limogeage de l’amiral Pierre Lacoste patron de la DGSE. Le 22, Laurent Fabius finit par admettre à la télévision que les services secrets français avaient mené l’attaque du Rainbow Warrior.

Cette affaire connaitra encore des dénouements deux décennies plus tard lorsqu’en septembre 2006, Antoine Royal, frère de Ségolène Royal, déclare à la presse que son frère Gérard Royal, ancien nageur de combat, se serait vanté d’avoir lui-même posé la bombe, ce que l’intéressé a refusé de confirmer. «Toute cette affaire me déplaît fortement. Je désapprouve que des choses soient écrites sur moi en lien avec cette affaire. C’est de l’histoire ancienne. [...] Je ne dirai jamais rien», déclarait-il le 2 octobre 1986 dans un entretien au NouvelObs.com.

- Le scandale du sang contaminé

Cette « sale affaire » entachera durablement le bilan de Laurent Fabius et sera à l’origine de plusieurs traversées du désert et mises au pilori au sein du PS. Elle concerne directement la vie de nombreux  innocents qui ont été transfusés de sang contaminés par le virus du VIH ou celui de l’hépatite C en raison à des mesures de sécurité inexistantes ou inefficaces. Selon les détracteurs de Laurent Fabius, des retards dans la mise en œuvre de mesures préventives auraient entraîné la contamination par le virus du sida de patients ayant subi une transfusion sanguine.

En avril 1991, la journaliste Anne-Marie Casteret publie dans l’hebdomadaire L’Événement du Jeudi, un article prouvant que le Centre national de transfusion sanguine (C.N.T.S.) a sciemment distribué à des hémophiles, de 1984 à la fin de l’année 1985, des produits sanguins dont certains étaient contaminés par le virus du sida. L’affaire provoque un scandale sans précédent et le 9 novembre 1992, François Mitterrand déclare : « Les ministres doivent rendre compte de leurs actes ». Laurent Fabius demande la levée de son immunité parlementaire pour être jugé. Il comparait le du 9 février au 2 mars 1999, devant la Cour de justice de la République aux cotés des anciens ministres socialistes Georgina Dufoix et Edmond Hervé pour « homicide involontaire ». Au final la cour le relaxe et déclare : « non constitués, à la charge de Laurent Fabius et de Georgina Dufoix, les délits qui leur sont reprochés, d’atteintes involontaires à la vie ou à l’intégrité physique des personnes » en argumentant  que « Compte tenu des connaissances de l’époque, l’action de Laurent Fabius a contribué à accélérer les processus décisionnels ». Malgré ce verdict, le scandale est installé et cette affaire lui a collé à la peau tout au long de sa carrière politique. Laurent Fabius avait alors dénoncé un complot mené par une « droite haineuse » la même selon lui qui s’en était pris avant-guerre à Roger Salengro, à Léon Blum et à Jean Zay…

 

Président de l’Assemblée nationale (1986-2000)

La gauche échoue aux législatives de 1986 ouvrant ainsi la voie à la première période de cohabitation de la Vème République. Laurent Fabius quitte Matignon  le 20 mars 1986 et cède la place à Jacques Chirac avec lequel il eut l’année précédente, un échange très vif lors de la campagne  électorale pour ces élections législatives. Lors d’un duel télévisé en octobre 1985, Jacques Chirac traite Fabius de « roquet ». Mais il rétorque grandiloquent avec un geste de la main : « Je vous en prie, vous parlez tout de même au Premier ministre de la France ! ». Cette répartie fera les gorges chaudes dans  toute la presse et lui sera reprochée pendant des années en marquant encore son origine grand bourgeois qu’on lui reprochait déjà.

La réélection de François Mitterrand en 1988  rebooste la carrière de Laurent Fabius qui s’était un peu mis entre parenthèse. Il est élu président de l’Assemblée nationale en 1988. Il conduit la liste socialiste lors des élections européennes du 18 juin 1989. Cette année là, le Parti socialiste réalise un score de 23,61 %,  l’un des meilleurs scores du PS à cette élection. Cette période est marquée aussi les batailles de pouvoir qui s’engagent entre les ténors du parti socialiste pour prendre les rennes du PS. Laurent Fabius s’enlise dans sa rivalité avec Lionel Jospin et échoue à deux reprises. En mai 1988, Pierre Mauroy l’emporte et devient secrétaire du PS avec le soutien de Lionel Jospin. Evènement qui marque une rupture définitive avec Lionel Jospin. Puis au congrès de Rennes en mars 1990, la rupture se fait avec le courant mitterrandien, qualifié de « suicide collectif » selon certains dirigeants socialistes. Après trois jours de débats et d’invectives, c’est Pierre Mauroy qui est reconduit à la tête du PS avec l’appui intangible de Lionel Jospin. Entre guerre lasse et persévérance, Laurent Fabius est enfin élu premier secrétaire du Parti socialiste en janvier 1992. Il le restera jusqu’au congrès du Bourget, qui suit la défaite de la gauche aux législatives de 1993 qui l’oblige à céder sa place à Michel Rocard.

 

Traversée du désert et temps de la réflexion

Pour l’élection présidentielle de 1995, Laurent Fabius renonce à se présenter lui-même en raison du scandale du sang contaminé qui le marquera de nombreuses années. Confirmant sa rupture avec Lionel Jospin, il se range derrière Henri Emmanuelli. Dans la foulée, il se fait élire maire du Grand-Quevilly en 1995, et devient président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, poste qu’il quitte en 1997, pour retrouver la présidence de l’Assemblée Nationale, suite à la victoire de la Gauche plurielle aux législatives et à la nomination de Lionel Jospin au poste de Premier ministre.

Le temps que lui laisse sa charge, il l’emploie à voyager et mesurer les problèmes soulevés par la mondialisation. Il envisage un temps de postuler au Fonds monétaire international comme l’évoque certaines rumeurs dans les médias. Mais elles ne font que précéder son retour au gouvernement et sur le premier plan de la scène politique. Dans un entretien accordé au quotidien Le Monde du 25 août 1999, il dénonce l’emballement de la machine fiscale et dans une entrevue avec La Tribune le 3 février 2000, il déclare : « Nous devons aussi alléger l’impôt sur le revenu, à mon avis, pour l’ensemble du barème : en bas, afin d’éviter les « trappes d’inactivité », au milieu pour réduire la charge des classes moyennes, en haut, afin d’éviter la fuite ou la démotivation des contribuables aux revenus les plus élevés ». Les dés sont lancés… car il est nommé ministre de l’économie, des finances et de l’industrie le 28 mars 2000 dans le gouvernement de cohabitation Jospin.

 

 

Ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie (2000-2002)

Cette nomination est dûe en réalité à la démission du successeur de Dominique Strauss-Kahn, Christian Sautter qui a jeté l’éponge face à la fronde des agents du ministère de l’économie. Ce dernier avait en effet, entamé un projet de réforme interne dont le but était d’établir un lien entre les rémunérations et la manière dont les tâches sont accomplies. Les syndicats se sont soulevés contre ce qu’ils ont considéré comme une provocation. Lionel Jospin en profite alors pour effectuer un grand remaniement de son gouvernement. Il y fait entrer aussi Jack Lang, Jean-Luc Mélenchon, Catherine Tasca, un représentant des Verts, Guy Hascoët, et un communiste en la personne de Michel Duffour.

Guidé par un désir de paix, Laurent Fabius enterre le projet de son prédécesseur dès son arrivée à Bercy et en profite pour mettre en œuvre la deuxième phase de la réforme des 35 heures. Il s’applique en parallèle, à poursuivre la politique de réduction de la fiscalité et de maîtrise des dépenses publiques menée depuis 1997 mais sa politique se retourne contre lui. Ses adversaires plus à gauche lui reprochent son libéralisme qui s’exprime dans le sacrifice du social. Lionel Jospin lui-même, ne suivra pas les conseils et projets de son ministre de l’économie en refusant de conditionner la baisse des impôts à celle des dépenses. Il maintient une baisse des impôts mais seulement sur les tranches les plus basses et s’engage dans une progression des dépenses publiques via  les investissements dans les hôpitaux, de nouveaux recrutements dans l’Éducation nationale et plus généralement dans toute la fonction publique.

Ce semi échec en parti dû à ses rapports conflictuels avec Lionel Jospin, n’empêche pas Laurent Fabius de poursuivre sa tâche car il est aussi le ministre du passage à l’euro, celui de la création du géant industriel Areva en septembre 2001, et du vote de la Loi organique sur les lois de finances promulguée en août 2001. Année où il supprime aussi la vignette pour les véhicules particuliers. En revanche, il est partisan d’une taxation des flux de capitaux, marquant ainsi  une avance sur son temps, à une époque où la crise liée à l’éclatement de la Bulle Internet venait juste de connaitre son apogée.  Il demeure à ce poste de ministre de l’économie jusqu’à la défaite cinglante de Lionel Jospin aux élections présidentielles de 2002. Quelques mois avant la nomination de Lionel Jospin au poste de premier ministre, Laurent Fabius déclarait : « Lionel Jospin aura deux haies à franchir. S’il perd les législatives, la présidentielle sera aussi perdue »…

 

 Dans l’opposition…

Les temps s’annoncent difficiles pour la gauche. Après la déclaration de Lionel Jospin de se retirer de la vie politique au soir de sa défaite le 21 avril 2002, Laurent Fabius est la principale personnalité à gauche pour mener la campagne des élections législatives qui suivent les présidentielles. A cette occasion, il affiche ses ambitions présidentielles mais c’est François Hollande qui est réélu premier secrétaire du Parti socialiste au Congrès de Dijon. Laurent Fabius prend à partir de là, une ligne opposée à ce qu’il prônait jusqu’alors et se démarque plus à gauche par le rejet du libéralisme. Ce virage « à gauche toute » l’enjoint à proscrire toute alliance future avec la droite modérée – ex UDF -  qui, après la réélection de Jacques Chirac et la création de l’UMP, commence à prendre son autonomie.

Ce changement politique va de pair pour Laurent Fabius, avec un changement d’image qui a souvent été mise à mal par les scandales comme l’affaire du sang contaminé ou celle du Rainbow Warrior mais aussi par ses positions politiques personnelles. Il entame alors un travail d’évangélisation de sa propre personne auprès du grand public qui se révèlera au final, assez maladroit. L’objectif est de troquer une image somme toute marquée par ses origines de grand bourgeois assez rigide contre celle d’un homme simple voir sympathique. Il publie en 2003 chez Plon un livre où il affiche sa volonté de se dévoiler dans l’intimité : « Cela commence par une balade ». Il y révèle qu’il voue une passion inconditionnelle aux carottes râpées et qu’il ne reste pas indifférent à la Star Academy pour laquelle il vote de temps en temps. Ces confidences assez maladroites qui ne coïncident pas avec le personnage public qu’il affiche depuis 20 ans, lui attireront les railleries des médias.

 

Référendum constitutionnel et ambitions présidentielles

C’est en 2004 qu’il revient sur le devant de la scène en s’opposant à la Constitution européenne. Il fait part de ses hésitations dans les médias qui se transforment en quelques mois d’un « non sauf si », à un non définitif qu’il défend au sein du parti socialiste. Ses positions mettent le PS en porte à faux de l’ensemble des socialistes européens partisans dans leur grande majorité, du « Oui ». Une position sui se confirme au sein du Parti socialiste français par un référendum interne où les militants décident de soutenir le « oui » par 55 % des voix.

Pourtant, c’est le non qui l’emporte lors du référendum national du 29 mai 2005 où il arrive aussi majoritaire au sein de l’électorat de Gauche. Le « oui » est ratifié par 16 pays sur 25, dont 14 par procédure parlementaire sans consultation de la population. Il est rejeté en France et aux Pays-Bas par référendum. Sous forme de représailles au « non » à la constitution européenne, le Conseil national du PS vote l’exclusion de Laurent Fabius, ainsi que celle de ses partisans, des instances du secrétariat national du PS.

Ce qui ne le freine pas dans ses ambitions présidentielles. En janvier 2006, Laurent Fabius annonce sa candidature à la primaire présidentielle socialiste. Pourtant, sa candidature est loin de faire l’unanimité car son positionnement contre le traité constitutionnel européen a soulevé de vives critiques tant à droite qu’à gauche. Il est accusé de manœuvre opportuniste pour se positionner en vue de la présidentielle de 2007.  Ses deux concurrents sont Ségolène Royal et Dominique Strauss-Kahn. À l’issue de la primaire interne du 16 novembre 2006, vainqueur dans son département de la Seine-Maritime, en Haute-Corse et à Mayotte, il arrive en troisième et dernière position avec 18,66 % des voix des militants et annonce dès le lendemain son ralliement à Ségolène Royal, désignée candidate du Parti socialiste dès le premier tour avec 60,65 % des voix. Malgré ses vives critiques à l’égard de Ségolène Royal, il prend sa défense au moment où elle rencontre les premières difficultés.

Dans le même temps, il est réelu de la quatrième circonscription de la Seine-Maritime en juin 2007 et reprend la tête de la communauté d’agglomération de Rouen, qu’il avait déjà occupée entre 1989 et 2000, avec comme objectif de la faire évoluer en communauté urbaine.

 

 Retour des fabiusiens dans la majorité du PS

Malgré son échec aux primaires socialistes, sa candidature permet à Laurent Fabius de revenir dans la majorité du PS. De nouveaux militants, issus du courant Nouveau Parti socialiste se rallient à Laurent Fabius, comme le groupe Nouvelle Gauche conduit par Benoît Hamon et une partie des anciens soutiens d’Arnaud Montebourg. Rapprochements sous forme de réconciliation qui se concrétiseront dans l’initiative des « Reconstructeurs » puis dans celle de la motion D du Congrès de Reims, dont la première signataire Martine Aubry est élue première secrétaire du Parti socialiste. Conséquence heureuse pour les fabusiens qui se retrouvent dans la majorité du Parti après de nombreuses années dans la minorité. Laurent Fabius peut à nouveau intervenir à l’Assemblée nationale au nom du groupe Socialiste sur des sujets de politique stratégique comme le non à la réintégration de la France au sein du commandement militaire intégré de l’OTAN et s’oppose aux projets gouvernementaux de réforme territoriale et de réforme des retraites.

Pour la présidentielle de 2012, Laurent Fabius soutient en premier Martine Aubry avant qu’elle n’officialise sa candidature aux primaires et renonce à se présenter lui-même. Mais lorsque François Hollande est investi, il se range derrière le candidat officiel au second tour de la primaire le 16 octobre 2011. Il entreprend alors un travail de défrichage et de communication du candidat Hollande sur le plan International lors de plusieurs déplacements comme celui à la fin du mois de janvier 2012 au Proche-Orient où il représente le candidat Hollande auprès du Qatar, de l’Autorité palestinienne et d’Israël. C’est là qu’il rencontre le président Shimon Peres et le ministre de la Défense Ehud Barak. Il se rend ensuite en Extrême-Orient au mois de février notamment en Chine où il n'est reçu par aucun haut dirigeant, et au Japon où il rencontre le Premier ministre Yoshihiko Noda. Enfin, il est choisi pour être le contradicteur du président de la République sortant, et candidat à sa succession, Nicolas Sarkozy lors de l'émission Des paroles et des actes du 6 mars 2012 sur France 2. Emission où on lui a reproché une certaine absence dûe au fait qu’il refusait systématiquement le clash.

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Alain Juppé
Ministère

L’un des derniers représentants du courant gaulliste dans la droite française, Alain Juppé a à son actif une grande carrière politique (régionale et nationale) marquée par son ancrage à la Mairie de Bordeaux. Homme de confiance de Jacques Chirac, grand rival de Philipe Séguin, de Charles Pasqua, aimé, détesté puis adoré par les français, celui qui occupe le Quai d’Orsay depuis le 27 février 2011, n’est jamais passé inaperçu. 

 

Une ascension politique fulgurante

Né le 15 aout 1945 à Mont-de-Marsan, Alain Juppé est le fils du gaulliste Robert Juppé, propriétaire agricole, et de Marie Darroze, issue d’une famille landaise. Il fait des études secondaires brillantes au lycée Victor-Duruy à Mont-de-Marsan, où il s'illustre en grec et en  latin, et obtient son baccalauréat en 1962, à l’âge de 17 ans. Il entre ensuite en classe préparatoire Hypokhâgne et Khâgne au lycée Louis-le-Grand à Paris, avant d’intégrer en 1964, l’École Normale Supérieure.

 

Après Sciences-Po, une agrégation de lettres classiques et son service militaire, il intègre l'ENA en 1970 à l’âge de 25 ans, pour en ressortir, deux ans plus tard, à la cinquième place de sa promotion.

 

Bardé de diplômes, Alain Juppé débute sa carrière en 1972 en tant qu’inspecteur des Finances. Au printemps 1976, il est recommandé par son ancien patron de l'inspection générale des finances, Jacques Friedmann, au directeur du cabinet de Jacques Chicac, alors premier ministre. Chargé de mission, Alain Juppé est la plume du premier ministre pendant trois mois, jusqu'à ce que ce dernier claque la porte de Matignon, en août 1976. M. Juppé devient alors conseiller technique au ministère de la Coopération jusqu’en 1978. Mais les deux hommes ne se quitteront plus.

 

Il se lance alors dans la politique régionale en Aquitaine en se présentant pour la première fois aux élections législatives de Mont-de-Marsan, en tant que candidat du RPR. Sans succès. La même année, alors qu'il a 33 ans, il suit Jacques Chirac à la Mairie de Paris, où il est nommé adjoint à la direction des finances et des affaires économiques de la capitale, puis directeur entre 1980 et 1981. Il devient alors l’un de ses plus proches conseillers. Il est d’ailleurs nommé directeur Adjoint de la campagne de Chirac pour l'élection présidentielle de 1981, et en mars 1983, adjoint au maire de Paris, chargé des Finances, poste qu’il occupera jusqu’en 1995.

 

Il continue en parallèle son ascension politique…à tous les niveaux. En 1979, il est élu au conseil national du RPR, dont il sera le responsable dans la fédération des Landes jusqu'en 1984, avant d'intégrer les instances nationales. En 1984, il est aussi élu député européen en figurant sur la liste d’alliance RPR-UDF conduite par Simone Veil.

Il franchit un pas supplémentaire en 1986 lorsque, à peine élu député de Paris, il est aussitôt nommé ministre délégué chargé du budget auprès d'Edouard Balladur lors de la première cohabitation sous François Mitterrand. Il le restera jusqu’en mai 1988.

Il est parallèlement porte-parole du gouvernement Chirac, avant de devenir celui du candidat Chirac à l'élection présidentielle de 1988. Son mentor échoue à nouveau face à François Mitterrand mais il décide de propulser Alain Juppé au sommet de l’appareil du RPR. Il devient alors secrétaire général du RPR et rejoint les bancs de l'Assemblée nationale.

 

Un pied aux avant-postes de la Mairie de Paris, un autre à la direction du RPR : l'ancien normalien est au coeur du système chiraquien. Devenu intouchable, il s'habitue à n'avoir de comptes à rendre qu'à M. Chirac. Cette habitude n’adoucit en rien son célèbre tempérament hautin et cassant. Alain Juppé est en effet connu pour sa rigueur et ses jugements sévères tout en traitant avec un égal mépris toutes les critiques qui lui sont adressées. Son visage froid et sec, surmonté d’une calvitie précoce ne fait qu’accentuer cette image.

 

Mais M. Juppé est également renommé pour sa fidélité envers celui qui lui permet de gravir les marches du pouvoir, Jacques Chirac. Au fil des années, il devient son seul homme de confiance, indispensable, irremplaçable. En 1989, il ne participe pas à la fronde des rénovateurs que mènent d'autres quadras au sein du RPR, et l'année suivante, il contribue à repousser l'offensive lancée par Philippe Séguin et Charles Pasqua pour renverser la direction du parti. M. Chirac lui en restera gré. En septembre 1993, lors des universités d'été des jeunes RPR, réunis à Strasbourg, il parle de M. Juppé comme « probablement le meilleur d'entre nous ». L'adverbe disparaîtra néanmoins des mémoires. Entre les deux hommes, c’est une fusion, un quasi-clonage.

 

Alain Juppé réussit aussi à s’implanter dans le 18e arrondissement de Paris, pourtant connu comme le fief de figures socialistes comme Lionel Jospin et Bertrand Delanoë. Il remporte les élections municipales de 1988, puis celles de 1993 dès le premier tour, rassemblant des électeurs de toutes orientations politiques. Il était également arrivé en tête de liste en 1983, devançant Lionel Jospin, mais avait laissé sa place à Roger Chinaud (UDF) préférant le poste d'adjoint au maire que Chirac lui avait confié.

 

En 1989, il mène par ailleurs conjointement avec Valery Giscard d'Estaing la liste RPR-UDF aux élections européennes et arrive une nouvelle fois en tête. Mais il ne restera député que quelques mois, préférant se consacrer à son mandat de parlementaire français.

Cependant, Alain Juppé n’hésite pas à montrer son engagement européen en prenant position en faveur du oui pour le traité de Maastricht en 1992. Il s'oppose ainsi au courant politique du gaullisme social incarné par ses rivaux de toujours, Charles Pasqua et Philippe Séguin qui estimaient que le traité européen représentait une menace pour l'indépendance de la France. Désormais considéré comme un homme d'influence, il réussit même à entraîner le RPR, son président compris (M. Chirac) à se prononcer pour le « oui » à Maastricht.

 

Quelques mois plus tard, il revient à la politique nationale. Dès la deuxième cohabitation, il est nommé ministre des affaires étrangères dans le gouvernement d'Édouard Balladur. Il occupera ce poste de mars 1993 à mai 1995. Il cumule alors cette fonction avec le secrétariat général du RPR et son poste à la mairie de Paris. Mais cela ne l’empêche pas de faire son travail avec brio. De l'avis d'un grand nombre, le passage d'Alain Juppé au Quai d'Orsay est jugé comme positif, est vu comme une période assez faste dans l'histoire de la diplomatie française récente.

 

Dès les premiers jours, il rétablit les circuits d'information et de concertation dans le ministère, commande une étude pour mettre à jour les dysfonctionnements et le malaise, il convoque tous les ambassadeurs. « En quelques semaines, cette administration qui, sous son prédécesseur, avait souffert du sentiment d'être ignorée, voire discréditée, se sentit, toutes tendances politiques confondues, réhabilitée, » peut-on lire dans un article du Monde paru en 1995.

 

Durant son mandat, il gère plusieurs dossiers difficiles comme la tragédie rwandaise et la délicate opération Turquoise. Il s'engage également dans le processus d'Oslo pour la paix israélo-palestinienne, en présidant notamment les conférences qui aboutissent aux signatures à Paris de deux accords sur les futures relations économiques entre Israël et l'OLP, les 9 mars et 29 avril 1994.

 

Il prend à cœur le conflit en Bosnie, il conçoit plusieurs plans de règlement du conflit  et tente à plusieurs reprises de mettre la pression sur la communauté internationale. Il parvient même en février 1994, à entraîner l'Elysée, les Américains et l'OTAN « dans la seule véritable action de force qui fut jamais tentée en Bosnie, avec l'ultimatum imposé aux Serbes à Sarajevo. Cet épisode a calmé le jeu, desserré l'étau meurtrier qui enserrait la capitale bosniaque, mais il n'a pu être réitéré quand il aurait dû l'être et n'a pas réglé le conflit. »

 

Il apparaît très rapidement comme un brillant ministre qui a conquis en deux ans une marge d'initiative qu'aucun ministre des affaires étrangères de la V République avant lui. Il réussit à convaincre François Mitterrand de lui donner le droit à la parole. C’est Alain Juppé qui, pendant ces deux années, explique la politique extérieure aux Français.

Il est considéré comme un homme modeste face à ce qu'il ne connaît pas, ayant une volonté de savoir, et d'agir, une grande rapidité intellectuelle, ainsi qu’une méthode. François Mitterrand apprécie son esprit clair et écoute ce qu’il a à dire.

 

Son passage au Quai d’Orsay permet à Alain Juppé de changer son image. « Il y venait avec une réputation de sécheresse, de froideur dans les contacts, avec une image de normalien-énarque qui lui collait à la peau. Il reste cet homme pudique et réservé sur lui-même, mais tous ses interlocuteurs ont pu mesurer en deux ans la réelle capacité d'écoute, la sincère curiosité qui se cachent derrière cette retenue, qu'il se soit agi de froids stratèges internationaux ou de ceux qui venaient lui parler des gens, comme cette grande petite bonne femme Rigoberta Manchu venue raconter au tout nouveau ministre le sort des Indiens guatémaltèques et qui le passionna. » Alain Juppé quitte le MAE avec une nouvelle stature politique.

 

« J’ai aimé cette maison », déclare-t-il avant de partir.

 

Juppé, le mal aimé

En mai 1995, Alain Juppé emménage à Matignon. A la suite de la victoire de Jacques Chirac à l’élection présidentielle, ce dernier le nomme sans surprise Premier ministre. Il dirigera deux gouvernements du 17 mai 1995 au 2 juin 1997.

 

Comme à son habitude, il cumule plusieurs fonctions. Le 18 juin 1995, il est élu  maire de Bordeaux, succédant à Jacques Chaban-Delmas. Il sera d’ailleurs reconduit en 2001, 2006 puis 2008.  Il conserve également la présidence du RPP, qu’il assumait par intérim depuis le 4 novembre 1994, date à laquelle M. Chirac avait déclaré sa candidature. Il restera à la direction du parti néo-gaulliste jusqu'à la défaite de la droite aux élections législatives de 1997.

 

L'homme qui entre à Matignon quelques semaines avant son cinquantième anniversaire, avec environ 60 % d'opinions favorables est donc pétri de certitudes. Mais ses deux mandats en tant que Premier ministre sont loin de connaître le succès qu’il a eu aux affaires étrangères.

 

Sa côte de popularité en prend un coup dès le premier mois de sa prise de fonction. En juin 1995, le Canard Enchaîné publie un document interne de la ville de Paris, signé de la main d'Alain Juppé, donnant ordre à ses services de diminuer le loyer de son fils Laurent, logé dans un appartement appartenant à la Ville de Paris, rue Jacob. Il est locataire, à un prix défiant toute concurrence, d'un appartement de 189 m² dans la même rue, où sont réalisés des travaux pour plusieurs millions de francs au frais des contribuables. Une plainte est déposée par une association de contribuables parisiens, puis l'affaire est classée par Bruno Cotte, procureur de Paris. M. Juppé tarde à répondre, puis crie à l'injustice. Le 6 juillet, il déclare au journal de 20 heures de TF1, qu'il ne se laissera « pas impressionner par toutes les campagnes qui vont continuer ». « Je reste droit dans mes bottes et je ferai mon travail », ajoute le premier ministre. L'expression fait florès. Mais près de quatre mois après le déclenchement de l'affaire, il annonce son prochain déménagement.

 

Mais ce que l’on retiendra de son passage à Matignon est l’échec incontestable du "Plan Juppé," un vaste projet de réforme de la  Sécurité Sociale et les retraites, qui provoqua en décembre 1995 le plus important mouvement social depuis 1968. Le plan prévoyait notamment un allongement de la durée de cotisation de 37,5 à 40 annuités pour les salariés de la fonction publique, afin de l'aligner sur celle du secteur privé déjà réformé en 1993, ainsi que le blocage et l'imposition des allocations familiales versées aux familles, combiné avec l'augmentation des cotisations maladie pour les retraités et les chômeurs.

Lorsque le Premier ministre présente son plan de réforme à l’Assemblée nationale, il se heurte à l’hostilité d’une grande partie de l’opinion publique. Mais trop éloigné de la réalité pour prendre la mesure du malaise social et trop sûr de lui, M. Juppé persiste. La réforme déclenche un vaste mouvement social. Le pays est littéralement paralysé. Les manifestations s'intensifient jusqu'à ce qu'Alain Juppé annonce ne plus toucher à l'âge de départ en retraite des régimes spéciaux (SNCF et RATP). Mais cela ne suffit pas. Le lendemain de l’annonce marque le point culminant du mouvement, avec deux millions de manifestants. Trois jours plus tard, Alain Juppé est contraint de retirer sa réforme sur les retraites, la fonction publique et les régimes spéciaux. Mais le gouvernement ne cèdera pas sur la Sécurité sociale, dont le budget sera dorénavant voté au Parlement. Le mouvement alors décroît jusqu'à la tenue d'un « sommet social » à Matignon le 21 décembre, concluant un mois d'agitation sociale en France.

 

Cependant, l’image qu’aura livrée M. Juppé à l'opinion n'est guère seyante. Beaucoup considèrent qu’il a tourné le dos aux engagements de campagne du président. Au lieu de lutter contre la « fracture sociale », priorité fut donnée à la réduction des déficits. Mais pis, lorsque les manifestations commencent, il préfère les ignorer et accumule les maladresses. Il annonce par exemple qu'il donnera sa démission quand « deux millions de manifestants » seront dans la rue (ce qu’il s’est d’ailleurs refuser à faire). Plus tard, il s'en prend publiquement à la « mauvaise graisse » de la fonction publique.

 

Maladroit dans la forme, contesté sur le fond, il est aussi critiqué sur sa méthode. Les ministres - ceux qui n’ont pas été évincé du gouvernement - se plaignent  ouvertement de l'autoritarisme de leur chef. La majorité commence à donner des signes de flottement.

Un an plus tard, la situation ne s’est toujours pas arrangée. 69% des français ne font plus confiance au chef de gouvernement.  Le nombre de réformes qu’il tente de mettre en place fait peur, il ne paraît pas sympathique, il n’est pas poche du peuple. Pourtant, même si un grand nombre de ses collaborateurs aussi le critiquent sur ses méthodes, ils semblent toutefois convaincus qu’il fait son travail avec intelligence et qu’il pourrait redresser la situation si le temps lui est donné.

 

Mais après la dissolution de l'Assemblée nationale par le président Jacques Chirac, la droite essuie une large défaite aux législatives de 1997. Le gouvernement Juppé est contraint de démissionner. Le 2 juin 1997, il laisse sa place à Lionel Jospin.

Il se consacre néanmoins à la ville de Bordeaux où il s'emploie à la moderniser, notamment par le développement d’un tramway, et à mettre en valeur son patrimoine, dont plusieurs monuments seront reconnus comme patrimoine de l'humanité par l'UNESCO.

 

Le 16 juin 2002, il est élu député dans la deuxième circonscription de la Gironde. La même année, il contribue à la fondation de l'UMP et en deviendra le premier président.

 

La descente aux enfers

Mais début 2004, Alain Juppé est contraint de renoncer à sa carrière politique. Il doit quitter ses fonctions de maire, de député ainsi que la direction de l’UMP. C’est la descente aux affaires : M. Juppé est accusé d'avoir permis l'embauche à la mairie de Paris de sept personnes du RPR afin de financer son parti.

 

L'affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris et du RPR débute à la fin des années 1990, notamment par la plainte d'un contribuable en 1998. La ville de Paris, donc M. Chirac et M. Juppé, premier adjoint de Paris au moment des faits, est accusée d’avoir employé entre 1977 et 1995, plusieurs dizaines de personnes travaillant en réalité pour le RPR, pour Jacques Chirac lui-même ou pour des proches. Payés par la municipalité, ces "salariés" n'auraient jamais effectué aucune mission pour la ville.

 

Alain Juppé avait d’ailleurs été mis en examen pour « abus de confiance, recel d'abus de biens sociaux, et prise illégale d'intérêt» en 1998.

 

Il clame son innocence. Mais le 30 janvier 2004, il est condamné par le tribunal correctionnel de Nanterre à dix-huit mois de prison avec sursis et à une peine de dix ans d'inéligibilité. S’il rejette l’enrichissement personnel de M. Juppé, il estime tout de même que ce dernier a “trompé la confiance du peuple souverain”. Nombre de commentateurs considèrent alors qu'il a payé pour Jacques Chirac qui ne peut être jugé tant qu’il exerce ses fonctions présidentielles. Le 1er décembre 2004, la Cour d'appel réduira sa peine à quatorze mois de prison avec sursis et un an d'inéligibilité.

 

En 2005, Alain Juppé décide donc de quitter la France et part enseigner les relations internationales à l'École nationale d'administration publique à Montréal au Canada. L’annonce de sa venue suscite l’hostilité dans le monde universitaire québécois. Le 18 février 2005, trente-quatre professeurs d'université du Québec et d'Ottawa publient dans le quotidien « Le Devoir », une lettre ouverte intitulée « Quand l'éthique fout le camp ».

Ils se disent indignés. En sollicitant un homme condamné dans l'affaire des emplois fictifs de la Mairie de Paris, "quel message l'ENAP envoie-t-elle à ses étudiants qui se destinent à une carrière administrative de même qu'à l'ensemble de la population : que le détournement de fonds n'est pas grave tant que celui-ci ne sert pas l'enrichissement personnel ?", interrogent-ils. Mais la polémique cesse rapidement et Alain Juppé enseigne normalement.            

                                                                                                                      

En aout 2006, une fois sa sanction levée, Alain Juppé annonce son retour en France, et son intention de se relancer dans la vie politique et de reconquérir son fauteuil de maire de Bordeaux. C'est chose faite quelques semaines plus tard.

 

Le 28 aout, la majorité UMP-UDF du conseil municipal de Bordeaux (hormis le maire Hugues Martin et deux adjoints, afin d’expédier les affaires courantes) démissionne en bloc, poussant à l’organisation d’une nouvelle élection municipale. Alain Juppé remporte les élections dès le premier tour le 8 octobre 2006. Il reprend sa place de maire de Bordeaux.

 

Lors de l’élection présidentielle de 2007, il apporte son soutien à Nicolas Sarkozy. Ce dernier le récompense en le nommant ministre d'Etat en charge de l'Ecologie, du Développement et de l'Aménagement durable, au sein du gouvernement Fillon. Mais son passage à ce poste sera éphémère. M Juppé, qui avait décidé de se présenter aux législatives de juin 2007 en Gironde, perd les élections. La règle veut qu'il quitte l'Exécutif. La démission de l'ensemble du gouvernement lui économise cependant de le faire officiellement.

 

Mais cela ne l’empêche pas de se faire réélire le 9 mars 2008 dès le premier tour à la mairie de Bordeaux. En parallèle, Nicolas Sarkozy le charge en 2009 de co-présider avec Michel Rocard une commission de réflexion sur les priorités du grand emprunt national 2010.

 

Ce nouveau geste du président n’empêche pourtant pas l’ancien Premier ministre de faire preuve d'un esprit critique face à la politique de Nicolas Sarkozy.

 

En février 2009, il critique le retour de la France au sein de l’OTAN. En octobre, c’est au tour de la réforme territoriale du gouvernement "encore très en retrait par rapport à ce qui était envisagé" et des modalités de suppression de la taxe professionnelle. Deux semaines plus tard, il cosigne avec M. Rocard, le général Bernard Norlain et l’ancien ministre de la Défense socialiste Alain Richard, une tribune dans le Monde en faveur du désarmement nucléaire. En décembre de la même année, il critique le débat sur l’identité nationale lancé par le gouvernement.

 

En juillet 2010, il dénonce le manque de moyens accordés au Quai d’Orsay dans une tribune du Monde. En aout, il s’attaque à la politique sécuritaire du président. Il met en garde contre les lois de « pure circonstance » et appelle à « moins d'idéologie » et « plus de pragmatisme ». Et ceci ne sont que quelques exemples.

 

En mars 2010, il déclare par ailleurs envisager de se présenter aux élections présidentielles de 2012 en cas de primaire à l’UMP : « Comme l’a dit François Fillon, le candidat naturel de la majorité en 2012 c’est Nicolas Sarkozy. S’il arrivait, pour des raisons qui lui appartiennent, qu’il ne soit pas à nouveau candidat, je pense qu’il faudra des primaires au sein de l’UMP. Je n’exclus pas à ce moment-là d’être candidat ». Hypothèse qu’il semble aujourd’hui écartée.

 

Nicolas Sarkozy décide alors de faire revenir le maire de Bordeaux sur la scène nationale. Pour le président, l'arrivée de M. Juppé est le gage de l'alliance renouée avec les chiraquiens et l'assurance qu'il ne devrait plus critiquer son action.

 

Après la mort de Philippe Séguin en janvier 2010, il lui propose donc la présidence de la Cour des comptes,  puis le ministère de la connaissance et de la recherche. Il tente le Quai d’Orsay. A chaque fois, M. Juppé décline. Les rumeurs disent qu’il ne veut pas devoir composer avec Claude Guéant, le secrétaire général de l'Elysée qui, à son poste, gère aussi les affaires extérieures du pays.

 

Mais il se laisse finalement convaincre. Le 14 décembre 2010, à l’âge de 65 ans, il devient ministre de la Défense dans le gouvernement Fillon III. Il explique alors que l’une des raisons pour lesquelles il a accepté est le fait que Nicolas Sarkozy est, à ses yeux, le seul « candidat à droite et au centre susceptible de gagner » en 2012. « J'ai des sentiments d'amitié pour lui. Ça fait trente ans que je le connais », a-t-il confié à propos du chef de l'Etat, précisant que les relations entre les deux hommes « dépendaient des jours » mais n'étaient « jamais glaciales. »

 

Il ne restera à ce poste que trois mois. Le 27 février 2011, à la faveur de la démission contrainte de Michèle Alliot-Marie du poste de ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé reprend les rênes du Quai d'Orsay… à  condition d’avoir les mains libres, que la politique étrangère de la France ne soit plus gérée par le duo Claude Guéant, le secrétaire général de l’Elysée, et Jean-David Levitte, le conseiller diplomatique du président. Requête accordée.

 

Juppé, l’homme providentiel

Oublié son passage à Matignon, oubliés ses problèmes judiciaires. Il avait laissé un tellement bon souvenir de son passage au Quai que son retour est acclamé. Il est attendu comme le messie par des diplomates démoralisés et peu convaincus par leurs ministres depuis 2004, et qui espèrent qu’avec cet homme fort, ils pourront récupérer les reines de la diplomatie française.

 

La presse le qualifie d’"homme providentiel" et de "sauveur" et semble penser qu’il pourra établir la voix de la France après des semaines de violentes critiques sur la proximité de Paris avec des régimes autoritaires comme la Tunisie.

 

Certains syndicats espèrent aussi qu'il usera de son poids politique pour obtenir des moyens supplémentaires. Depuis l'élection de Nicolas Sarkozy, le maire de Bordeaux a en effet  eu l'occasion de s'exprimer publiquement sur les affaires du Quai d'Orsay et la diplomatie française. Il a co-rédigé en 2008 avec Louis Schweitzer le Livre Blanc sur la politique étrangère de la France. Un document qui appelait à renforcer l'action interministérielle du ministère et soulignait que celui-ci avait consenti de gros efforts ces dernières années avec une baisse des effectifs de 11 % entre 1997 et 2007 et une réduction de 21 % des dépenses d'investissement et de fonctionnement entre 2000 et 2008. “On ne peut réduire indéfiniment ces effectifs et ces moyens sans remettre en cause les ambitions européennes et internationales assignées à notre action extérieure”, notait le Livre blanc. Il avait par ailleurs enfoncé le clou dans sa tribune commune avec Hubert Védrine, ancien ministre socialiste des Affaires étrangères.

 

Espérons donc qu’il sera à la hauteur des attentes. Mais dans un contexte économique extrêmement difficile et avec un président qui table sur SA politique étrangère pour remonter dans les sondages, le défi sera très dur à relever.

 

Vie personnelle:

Le 30 juin 1965, Alain Juppé épouse Christine Leblond avec laquelle il aura deux enfants, Laurent (né en 1967) et Marion (née en 1973).

 

Le 29 avril 1993, il épouse en seconde noce la journaliste Isabelle Legrand-Bodin avec qui il aura un troisième enfant, Clara, née deux ans plus tard.

 

Le blog-note d’Alain Juppé 

 

Mandats:

  • 1972 à 1976 : Inspecteur des Finances affecté au service de l’Inspection Générale des Finances
  • 1976 : Chargé de mission au Cabinet de M. Jacques Chirac, Premier Ministre
  • 1976 à 1978 : Conseiller technique au Cabinet du Ministre de la Coopération
  • 1978 à 1979 : Chargé de mission auprès de M. le Maire de Paris
  • 1978 à 1980 : Directeur Adjoint des Finances et des Affaires Economiques de la Ville de Paris
  • 1980 à 1983 : Directeur des Finances et des Affaires Economiques de la Ville de Paris
  • 1983 à 1995 : Adjoint au maire de Paris, conseiller du 18e arrondissement
  • 1986 à 1988 : Ministre délégué auprès du Ministre de l’Economie, des Finances et de la Privatisation, chargé du Budget - Porte-parole du Gouvernement
  • 1993 à 1995 : Ministre des Affaires Etrangères
  • 1995 à 1997 : Premier Ministre
  • 2007 : Ministre d’Etat, ministre de l’Écologie, du Développement et de l’Aménagement durables
  • 2010 (15 novembre) : Ministre d’Etat, ministre de la défense et des anciens combattants
  • 2011 : Ministre d’Etat, ministre des Affaires étrangères et européennes
  • 1977 à 1978 : Délégué National aux études du RPR 
  • 1979 à 1981 : Membre du Conseil National du RPR 
  • 1981 à 1988 : Membre du bureau politique et de la commission exécutive du RPR
  • 1988 à 1994 : Secrétaire général du RPR
  • 1994 à 1997 : Président du RPR 
  • 2002 à 2004 : Président de l’UMP
  • 1986 : Député de Paris
  • 1988 à 1993 : Député de Paris
  • 1997 à 2004 : Député de la Gironde
  • 1995 à 2004 : Maire de Bordeaux
  • 1995 à 2004 : Président de la Communauté Urbaine de Bordeaux
  • 2006 (13 octobre) : Réélu maire de Bordeaux
  • 2008 (14 mars) : Réélu maire de Bordeaux

Bibliographie:

  • «La tentation de Venise», Alain Juppé, éditions Grasset, 1993
  • «Entre nous» Alain Juppé , Nil éditions , 1996
  • «Montesquieu, le moderne», Alain Juppé, Perrin, 1999
  • «Entre quatre z’yeux», Alain Juppé et Serge July, Grasset, 2001
  • «France, mon pays, Lettres d’un voyageur», d’Alain Juppé, Robert Laffont, 2006

 

 

 

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Résumé

Le ministère des Affaires étrangères et européennes (MAEE), aussi appelé « Quai d’Orsay » ou tout simplement « le Quai », conduit l’action diplomatique de la France en Europe et dans le monde et agit pour donner à la France la place qui lui revient sur la scène internationale.

Il est notamment chargé d’informer les plus hautes autorités de l’Etat de la conjoncture internationale et de la situation des pays étrangers.

 

Il est également responsable de la conception et de la mise en œuvre des grandes orientations de la politique extérieure ainsi que des relations internationales de la France. Il représente de ce fait l’hexagone auprès des gouvernements étrangers et des organisations internationales, il négocie et signe des accords au nom de la France et coordonne les actions des autres ministères à l’égard de l’extérieur.

 

Le ministère est aussi chargé de défendre au quotidien les intérêts stratégiques de la France à l’étranger et d’assurer son rayonnement politique économique et culturel ; ainsi que de l’assistance aux ressortissants français hors du territoire.

 

Pour mener les missions qui lui incombent, le MAEE est divisé en une administration centrale située à Paris et une administration territoriale présente partout sur la planète.

 

Ce sont d’ailleurs les ambassades et consulats de France qui sont en grande partie responsables de rassembler les informations sur la situation internationale et les Etats étrangers ainsi que de la protection des intérêts du pays et de ses ressortissants. En outre, l’ambassadeur représente sur place le président de la République, le gouvernement, et donc tous les ministres qui le composent.

 

Par ailleurs, le ministre des Affaires étrangères et européennes dispose d’un ministre chargé de la Coopération, d'un ministre chargé des Affaires européennes ainsi que d’un Secrétaire d’Etat chargé des Français de l’étranger.


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Histoire:

Si la France a toujours eu une politique étrangère, il aura fallu attendre 1589 pour qu’elle ait un « ministre », ou plutôt un secrétaire d’Etat exclusivement chargé des affaires étrangères,  et 1853 pour qu’elle ait un ministère à part entière.  

 

En effet avant 1589, la conduite de la diplomatie française était assurée directement par le Roi et son entourage direct. Ils avaient certes des conseillers diplomatiques, des « notaires secrétaires du roi », et des ambassadeurs, temporaires à l’époque, mais il n’existait aucun département dédié aux affaires étrangères avant la fin du XVIe siècle.

 

Les quatre secrétaires d’Etat du roi se partageaient la lecture et l’envoi de la correspondance avec les provinces et les pays étrangers.  Le secrétaire chargé de la correspondance avec la Champagne et la Bourgogne, par exemple, s’occupaient aussi de la correspondance avec les pays étrangers limitrophes, comme l’Allemagne ou la Suisse. La répartition des affaires étrangères était purement géographique et n’avait aucun caractère de permanence.

 

Le 1er janvier 1589, Henri III instaure un nouveau règlement qui créé la fonction de secrétaire d’État des Affaires étrangères. Ce dernier est chargé de la correspondance avec les gouvernements étrangers et les ambassadeurs accrédités auprès de ceux-ci par la France. Ses attributions s’étendent aussi au commerce extérieur concurremment avec le contrôleur général des finances et le secrétaire d’État de la Marine, mais les consulats dépendent uniquement de ce dernier. Ce principe n'a plus été remis en cause par la suite, sauf pendant une brève période de deux ans sous Louis XIII (1624-1626).

 

C’est Louis de Révol qui a l’honneur d’être nommé le premier « secrétaire d’Etat des étrangers ». Il est apparemment choisi en raison de son dévouement et de sa docilité. Les témoignages de l’époque le qualifient « d’homme fidèle et de saine réputation, accoutumé à servir le roi, dès ses plus jeunes années, bien que toutefois, en matières d’affaires de cour et de conseils, il n’eut jamais passé pour habile ».

 

L’administration des Affaires étrangères sous l’Ancien Régime est en effet très différente de celle que l’on connaît aujourd’hui. Le secrétaire d’Etat a des attributions, certes importantes, mais sans rapport réel avec la politique étrangère. Le roi est celui qui prend toutes les décisions ; les questions relevant du commerce international sont traitées en grande partie par le département de la Marine. Il a plus un rôle administratif et non politique comme aujourd’hui. Certains le comparent même à un scribe.

 

La carrière diplomatique, elle, est à peine organisée. Le réseau des ambassades se développe doucement. Ce n’est d’ailleurs qu’en 1783 que les consulats rejoignent les affaires étrangères. Ils étaient jusqu'alors rattachés à la Marine. Chaque secrétaire d’Etat est autorisé à se faire assister d’un commis et de six clercs choisis sous sa responsabilité. Mais les commis sont de simples bureaucrates qui font une carrière lente et modeste et qui ne vont jamais à l’étranger.

 

Entre 1589 et 1791, on compte vingt-neuf secrétaires d’État (y compris Richelieu, Colbert de Croissy et Torcy), dont les attributions demeurèrent inchangées jusqu’à la fin de l’Ancien Régime.

 

Le XIXe siècle hérite des structures mises en place sous l'Ancien Régime, mais la terminologie change ; les bureaux deviennent des divisions, puis des directions, les premiers commis prennent le titre de chef puis de directeur. La condition administrative des employés et agents des Affaires étrangères change et la notion de fonction publique apparaît.

 

En 1853, le ministère emménage quai d’Orsay.

 

Le rôle du secrétaire d’Etat des affaires étrangères évolue aussi peu à peu. Il n’a pratiquement plus de fonctions administratives et devient responsable de sa politique devant le parlement.

 

Les ambassades reflètent la place tenue par les affaires d’Église mais au fur et à mesure, la fonction se laïcise. On y trouve de grands seigneurs et de nombreux  magistrats qui se spécialisent dans les Affaires étrangères.

 

L'organigramme du ministère est fréquemment modifié aux XIXe et XXe siècles. De 1825 à 1945, pas moins de dix-sept textes officiels l'ont remodelé suivant des critères soit géographiques soit méthodiques.

 

La réforme de 1825 est considérée comme une réforme-phare. Le baron de Damas, surnommé le "ministre de l’Intérieur des Affaires étrangères" de par ses qualités d’administrateur, propose une réorganisation interne de l’administration centrale. Il crée notamment une division commerciale à laquelle est joint un bureau de statistique.

 

Tout le long du XXe siècle apparaissent des services nouveaux, adaptés aux réalités de la vie internationale. L'accroissement des échanges intellectuels a entraîné les Etats à pratiquer une politique, dite culturelle : diffusion des journaux et des livres, création à l'étranger d'écoles ou d'instituts scientifiques, octroi de bourses à des étudiants étran­gers en France ou à des étudiants français à l'étranger, organi­sation de conférences, de compétitions sportives, d'expositions artis­tiques ou techniques et de tournées théâtrales….toute action servant à promouvoir le rayonnement culturel de la France dans le monde.

 

De même, la guerre de 1914-18 obligea le Ministère des Affaires Etrangères à créer un service spécial, rattaché à la Direction politique, chargé de renseigner les journalistes et le public sur les ques­tions de politique extérieure, ainsi que de publier des extraits ou des résumés des journaux et revues françaises et étrangères. C'était le premier germe de ce que l’on appelle aujourd’hui la Direction de la communication et du porte-parolat.

 

Simultanément, le nombre des postes diplomatiques et consulaires s'accroît de façon spectaculaire. En 1982 la France a 157 ambassades, 5 délégations auprès des organismes internationaux et 148 consulats, alors qu'à la veille de la première guerre mondiale elle n'avait que 10 ambassades, 33 légations (dirigées par des ministres plénipotentiaires) et 107 consulats.

 

Désormais c’est le Quai d’Orsay qui définit la politique étrangère de la France sous l'impulsion du Président de la République.

 

Après la Seconde Guerre Mondiale, l’administration centrale est régulièrement réorganisée. Une direction des échanges culturelles, scientifique et technique et la Direction des affaires juridiques sont créées.

 

La Direction des conventions administratives et des affaires consulaires est transformée en direction des Français à l'étranger. La nouvelle direction a pour «mission d'assurer l'accueil et l'information des Français se rendant à l'étranger, d'animer et de coordonner l'activité des diverses administrations ou organismes compétents en matière de protection sociale, de santé, d'éducation, de contribuer à la sécurité de nos ressortissants, de leur faciliter l'exercice des droits civiques, de leur assurer enfin des conditions satisfaisantes de réinsertion ». C’était un domaine que le quai d'Orsay avait tendance à abandonner aux ministères techniques. La réforme marque une ouverture du ministère vers le public, avec l'abandon de la hiérarchie entre affaires diplomatiques et affaires consulaires. En effet, dans le même temps les consulats sont intégrés dans le réseau diplomatique d'une manière plus complète et la protection des ressortissants français devient une priorité.

L'ambassadeur devient dépositaire de l'autorité de l'Etat dans le pays où il est accrédité. Il est chargé, sous l'autorité du ministre des affaires étrangères, de la mise en œuvre dans ce pays de la politique extérieure de la France.

 

En 1973, le Centre d'analyse et de prévision est crée et directement rattaché au ministre. Sa mission est de proposer des options de politique étrangère à partir « études prévisionnelles ou techniques ». En 2009, le centre est remplacé par la direction de la Prospective.

 

Par ailleurs, en 1979, une structure de crise est mise en place. La cellule doit centraliser tous les renseignements disponibles et assurer une coordination interministérielle en cas d'événements graves.

 

Depuis, plusieurs ministres ont tenté de moderniser les services et modifier la culture des agents du Quai afin d’adapter l’action extérieure de la France à la nouvelle donne internationale.

 

En effet, depuis de nombreuses années le ministère perd de son influence. L’une des raisons est l'« internationalisation » des autres ministères. Le Quai n’a pas le contrôle de l'action extérieure de la France.

 

A la fin des années 90, c’est le ministère de l’agriculture qui a en grande partie géré la crise de la vache folle. Et c’est loin d’être le seul exemple. Les finances, l'industrie, l'environnement, la santé, etc, ont tous développé des sections internationales. Ces ministère, dit techniquement compétents, ont plus pesé dans la gestion des dossiers tels que la « guerre de la banane » avec Washington, la constitution d'un pôle aérospatial européen ou les négociations sur l'effet de serre que le Quai d’Orsay.

 

Or, cette dispersion a parfois conduit à des « incohérences », notait en novembre 2002 le député UMP de l'Oise Eric Woerth, rapporteur spécial de la commission des finances de l'Assemblée nationale sur le budget des affaires étrangères: « Le ministère de l'intérieur ne peut lutter contre l'immigration clandestine sans l'aide des services des visas, le ministère de la santé doit tenir compte des orientations définies à l'Organisation mondiale de la santé, le ministère de la recherche accueille des étudiants étrangers et accompagne les voyages d'étude des Français, celui de l'environnement est lié par des engagements internationaux. »

 

A titre indicatif, en 2003, les crédits sont dispersés au sein de quinze ministères.

Autre phénomène qui appauvrit l'action du diplomate classique est la montée en puissance des négociations multilatérales. Les dossiers sont de plus en plus mondialisés et l'essentiel se joue au G8, à l'ONU, l'Union européenne ou à l'OMC, ce qui accentue le sentiment de dépossession des ambassades.

 

En outre, le Quai est accusé de dysfonctionnement. La structure est obsolète, elle n’est pas adaptée aux nouveaux enjeux globaux, ni à la nouvelle donne internationale.

En 1993, Alain Juppé (ministre du MAE de 1993 à 1995) tente de remédier au problème. Il restaure l'importance du Centre d'analyses et de prospective et met l'accent sur l'importance des questions économiques, pour « dynamiser le réseau », explique-t-il. Il lance également la Conférence annuelle des ambassadeurs, où ceux-ci rencontrent les plus hautes autorités de l'Etat et sont supposés débattre des grandes options du ministère.

Il procède par ailleurs à un vaste audit, sous l'égide du conseiller à la Cour des comptes Jean Picq. Son rapport « secret », car il ne sera jamais diffusé, constate que le Quai est paralysé par une « guerre des directions » entre « des baronnies soucieuses avant tout de défendre leur territoire [et qui] pratiquent la rétention d'information », vivait une « crise de confiance ».

 

Il prône alors l'urgence d'une révolution culturelle et des méthodes de travail pour améliorer son fonctionnement, l'information, la formation des diplomates. Il obtient la création d'un comité interministériel des moyens de l'Etat à l'étranger (Ciméé). Mais la résistance des ministres concernés, peu enclins à accorder au Quai un droit de regard sur leurs programmes à l'étranger, a eu raison de cette structure, qui n'est devenue qu'un simple outil statistique.

 

Alain Juppé réussit ainsi à réveiller les consciences mais il n’arrivera pas à mettre en placer de réforme concrète et efficace.

 

Son successeur Hubert Védrine (ministre de 1997 à 2002), tente lui aussi de moderniser le ministère et de restaurer l’influence de la diplomatie française.

 

Il lance des grands chantiers  et créé quatre comités. L'un est en charge du management - répartition des effectifs, méthodes de travail, formation, etc. Le second comité, dit « stratégique » a pour but de « rompre les hiérarchies verticales », c’est- à -dire d'obliger les directeurs de service à travailler ensemble. Le troisième suit la politique immobilière. Et le dernier est un comité pour l'information et la communication, ayant pour objectif de développer et contrôler la capacité communicante des diplomates. L'objectif du dispositif vise à modifier les habitudes de travail pour améliorer l'efficacité des ambassades. Il tente également d’aménager la « carte diplomatique ».

 

Mais lui aussi se heurte aux carcans comptables et à la résistance des diplomates. Malgré son enthousiasme et sa volonté, Védrine n’arrivera pas non plus à moderniser le système autant que nécessaire. 

 

Il réussit cependant à enrayer la chute constante du budget et des emplois (le MAE en a perdu 1 000 en dix ans). En 2001, et pour la première fois depuis 1995, les moyens du Quai sont en légère augmentation (21,96 milliards, soit 1,29 % du budget de l'Etat). Il améliore également la communication électronique et le site internet du MAE.

 

C’est aussi sous son mandat, que le ministère de la Coopération est intégré au Quai d’Orsay (le 1er janvier 1999).

 

Dominique de Villepin, ministre de 2002 à 2004, essaie lui aussi de reprendre la main sur l’action extérieure de la France. Le MAEE ne dispose en 2003 que de 46 % des crédits et 66 % des effectifs concourant à l'action extérieure de l'Etat, le reste étant réparti entre d'autres administrations.

 

« Le ministère des affaires étrangères doit devenir le centre de coordination, d'impulsion et de synthèse de l'action extérieure de l'Etat. (...) Nous devons affirmer une authentique unité d'action », déclare-t-il le 27 août 2002, en ouverture de la 10e conférence des ambassadeurs. Un an plus tard, même lieu, le ministre s’exprime à nouveau sur le sujet: « Notre but doit être de rendre à notre ministère la responsabilité de fixer le cap de l'action de la France à l'extérieur de nos frontières. »

 

Mais cela restera encore une fois plus facile à dire qu'à faire. En 2007 notamment est crée le ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire, intégré en 2010 au ministère de l’Intérieur. D’autres compétences traditionnellement exercées par le Quai sont à  leur tour transférées à un autre ministère plus « technique ».

 

Lorsque que Nicolas Sarkozy arrive au pouvoir en 2007, lui aussi souhaite adapter l'outil diplomatique français aux enjeux, notamment de la mondialisation. Il demande à une Commission regroupant une quarantaine de diplomates, chercheurs, députés et représentants du monde des affaires, sous la coprésidence de l'ancien ministre des Affaires étrangères Alain Juppé, et de l'ancien patron de Renault Louis Schweitzer, de préparer un texte visant à clarifier les priorités de la diplomatie française.

Le « Livre blanc sur la politique étrangère et européenne de la France » n'a pas le caractère d'un document officiel. Intitulé « La France et l'Europe dans le monde », le rapport émet simplement des propositions et projette son analyse sur la période 2008-2020.

 

Sur le plan des moyens du MAEE, le texte prône la préservation de l' « universalité » du réseau diplomatique. Il ne faut pas réduire le nombre des ambassades mais créer des catégories différentes qui permettraient d'alléger certains dispositifs. Il appelle à améliorer les instruments de prospection, et de ceux consacrés à la gestion des crises. Et aussi à mieux gérer le personnel, en valorisant notamment la formation linguistique des diplomates.

 

La Commission constate également qu'avec la réduction des effectifs du ministère (moins 11 % entre 1997 et 2007) liée aux contraintes budgétaires, l'outil diplomatique français est « à l'étiage ».

 

Dans le cadre des travaux du Livre blanc mais aussi du processus de révision générale des politiques publiques (visant à réduire les dépenses publiques de l’Etat), Bernard Kouchner, alors ministre des Affaires étrangères et européennes, se lance dans une refonte sans précédent du Quai d’Orsay. L’objectif : rénover l’action extérieure de la France et adapter les structures et les modes de fonctionnement du ministère des affaires étrangères et européennes.

 

La modernisation du ministère se traduit, notamment, par la réorganisation de son administration centrale. Le décret et l'arrêté relatifs à l'organisation de l'administration centrale du ministère sont signés le 16 mars 2009.

 

L’un des principaux volets de la réforme est la création du Centre de crise, inauguré en juillet 2008. Opérationnel 24 heures sur 24 et sept jours sur sept, il a pour objectif de coordonner l’ensemble des moyens du MAEE et des acteurs français impliqués dans une crise à l’étranger, que ce soit une crise mettant en danger la sécurité des Français à l’étranger ou à caractère humanitaire. Il a notamment été mobilisé lors du conflit en Géorgie, du tremblement de terre en Haïti ou pendant les révoltes du printemps arabe.

Une direction générale de la Mondialisation et des Partenariats a également été mise en place, ainsi qu’une direction de l’Union européenne et une direction de la prospective. Cette dernière remplace le Centre d'analyse et de prévision (CAP) et « prépare les décisions du ministre (auquel elle est directement rattachée) par l'analyse des évolutions à moyen et long terme des relations internationales et des questions qui les influencent. » Les directions géographiques ont par ailleurs vu leur rôle renforcé puisqu’elles sont désormais consultées sur la répartition des moyens dans leur zone de compétence.

 

Au-delà de l’administration centrale, Kouchner souhaite également moderniser le réseau diplomatique à travers une nouvelle catégorisation des ambassades : les ambassades « polyvalentes » opérant avec toute la gamme des compétences (une trentaine), les ambassades consacrées à des « missions prioritaires » (une centaine), et des « postes de présence diplomatique » à effectifs très réduits devant assumer une fonction de « veille » et orientés vers la « diplomatie d'influence » (une trentaine). Ces postes sont confiés de préférence à de jeunes diplomates.

 

La réforme prévoit également de promouvoir et de rémunérer des diplomates « au mérite », et de favoriser une féminisation du corps des ambassadeurs.

Concernant l’aspect culturel enfin, le ministère a fusionné les services de coopération et d’action culturelle des ambassades avec les centres culturels, tout en renforçant le lien avec les Alliances françaises. La diplomatie d’influence culturelle souffre en effet d’une multiplicité de structures qui empêche la conduite d’une stratégie claire des actions françaises.

 

En outre, le ministère crée l’Institut français, sorte de tête-de-pont du réseau culturel,  « un outil diplomatique, qui cherche à développer une stratégie d’influence globale de la France à l’étranger. Nous ne sommes pas là uniquement pour organiser des expositions ou subventionner du spectacle vivant. Nous sommes aussi là pour faire entendre la voix de la France. Nous allons donc nous attacher à participer et lancer des débats d’idées, à davantage promouvoir la langue française et à amplifier les traductions, » explique Xavier Darcos, président de l’institut.

 

De nombreuses personnes ne voient dans ce projet de grande ampleur que des “réformettes” et doutent de la réalité du changement. Pour certains, les services ont juste été rebaptisés, pour d’autres ce n’est simplement pas suffisant.

Cependant, d’autres considèrent que l’hypothèse d’un ministère des Affaires étrangères recentré sur la seule diplomatie politique serait plus pertinente. Selon eux, le ministère de la Culture est désormais le mieux placé pour diffuser la culture française dans les autres pays. D’autres spécialistes soulignent que cela est de toute manière déjà le cas puisque dans les faits c’est le ministère de l’Économie qui s’occupe du commerce extérieur, le ministère de l’Éducation nationale qui gère les enseignants des lycées français à l’étranger etc.

 

Et même si Bernard Kouchner ne serait probablement pas publiquement d’accord avec ces commentaires, il semblerait qu’il ait tout de même pris conscience de la réalité puisque la dimension interministérielle du réseau de l'Etat à l'étranger n'a pas été omise dans ses réformes. En effet, d'un comité interministériel des réseaux internationaux de l'Etat (CORINTE) est également mis en place. Ce dernier vise à définir une stratégie globale de l'action de l'Etat et davantage de coordination interministérielle.

 

En 2011, la mise en place de ces réformes ne semble avoir améliorer la situation et apporter des solutions à la crise d’identité du Quai d’Orsay. Et même la diplomatie politique semble lui avoir échappé.

 

 

La politique étrangère

 

Au niveau de la politique internationale à proprement parlé, depuis Louis XIV, 1789 et Napoléon, la France poursuit un rêve de grandeur: conquête du Nouveau Monde, de l’Afrique, politique coloniale, instauration du français comme langue internationale etc… Après la défaite contre l'Allemagne en 1870, ce rêve se brise une première fois, et les deux guerres mondiales accentuent le sentiment de déclin qui se développe tout au long du XXe siècle. La France perd une partie de son influence internationale, notamment par son assujettissement  au Troisième Reich.

 

Elle se donne cependant un nouveau rôle sous l'impulsion du général de Gaulle : mise en place d'une force de dissuasion nucléaire, sortie des structures intégrées de l'OTAN, coopération avec les pays africains et arabes. Elle mène une politique indépendantiste et cultive la notion « d’exception française ».

 

Mais la fin de la guerre froide, la construction européenne et le début de la mondialisation remettent en cause l'héritage gaullien. Le renforcement de l'intégration européenne, sous François Mitterrand et Jacques Chirac, le retour au nucléaire entre autres conduisent la France à renoncer au mythe de la grandeur mais ne l’empêche pas de jouer un rôle déterminant au sein de l’Europe ainsi que sur la scène internationale.

 

Cependant, lorsque Dominique de Villepin est à la tête du Quai d’Orsay sous Jacques Chirac, une nouvelle diplomatie française émerge. La France s’affirme, certains diront s’isole, en opposant la guerre en Irak, critiquant l'« unilatéralisme » américain, en se réengageant en Afrique ainsi qu’en défendant un monde « multipolaire » et d'une Europe-puissance ; au grand damne des Etats-Unis et de certains pays européens.

 

Depuis l’arrivée de Nicolas Sarkozy au pouvoir, la France s’est à nouveau rapprochée des Etats-Unis, mais la France est aussi partout et a son mot à dire sur tout: Géorgie, crise financière, Bruxelles,  Afrique, OTAN, Afghanistan, dossier Iranien sont quelques exemples…et depuis son rendez-vous manqué avec les révoltes arabes, la France semble vouloir compenser ; en prenant les rennes dans le conflit en Lybie, en condamnant fortement le régime du président syrien Bachar, en étant l’un des premiers pays promettant la  reconnaissance d’un Etat palestinien en septembre 2011 à l’ONU.

Mais de nombreux spécialistes et observateurs ont souvent critiqué la politique étrangère de Nicolas Sarkozy. La plupart des décisions du président sont impulsives, manquent de préparation et de vision à long terme, soit par caractère ou manque d'expérience et de hauteur de vue, soit par sacrifice aux calculs politiques à court terme, disent-ils. Le conflit en Géorgie, en Lybie, l'Union pour la Méditerranée et surtout les révoltes en Tunisie et en Egypte sont cités en exemple.

 

Ebranlée par ses erreurs de jugement sur la révolution tunisienne et égyptienne, il est aujourd’hui impératif que la diplomatie française se reconstruise dans le monde arabe. L'accélération des soulèvements populaires au Moyen-Orient, dans une région où la France pensait jouer un rôle particulier, et les critiques formulées contre la politique extérieure française suscitent de douloureux examens de conscience à l’Elysée comme au Quai d'Orsay.

 

C’est pour cela que la nomination d’Alain Juppé au Quai d’Orsay en mars 2011 est accueillie avec bienveillance et soulagement. Dans les gros titres, on le qualifie « d’homme providentiel », de « sauveur ». Son pragmatisme et son bilan politique (aux affaires étrangères comme ailleurs) rassure.

 

Des son arrivée, Juppé a clairement annoncé ses priorités, relatives aux bouleversements dans le monde arabe : renforcement de la présence en Afrique et de la défense européenne, renforcement des partenariats avec les pays émergents comme la Russie, la Chine et le Brésil. Il juge également nécessaire de relancer l'Union pour la Méditerranée (UPM), forum de coopération entre l'UE et les pays du Maghreb et du Proche-Orient. C'était le grand projet du début de mandat de Nicolas Sarkozy, "initiative" qualifiée de prémonitoire par M. Juppé.

 

Il souhaite également rétablir la confiance auprès des diplomates qui ont exprimé dans des tribunes anonymes leurs inquiétudes quant à "l'amateurisme" ou "la peur du changement" manifestés par la diplomatie française. Selon un sondage Harris Interactive publié en mars 2011, 55 % des Français lui font "plutôt confiance" comme nouveau chef de la diplomatie.

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Ses missions:

Aujourd’hui, la Mission principale du ministère des Affaires étrangères et européennes (MAEE) est de mener et coordonner l’action diplomatique de la France en Europe et dans le monde.

 

Concrètement, cela veut dire que le réseau diplomatique, deuxième au monde après les Etats-Unis et présent sur la quasi-totalité de la planète, suit en permanence l’évolution de la conjoncture internationale et la situation des pays étrangers.

 

A partir des informations recueillies par ses représentants à l’étranger et des analyses conduites par ses spécialistes, le ministère informe et conseille le président de la République sur les questions de politiques étrangères. Une fois que la politique et les stratégies sont définies, il est chargé de les mettre en oeuvre.

 

Le rôle stratégique du Quai d’Orsay varie selon les présidents et les ministres. Jacques Chirac, par exemple, avait confiance et respect pour Alain Juppé et Dominique de Villepin. Il travaillait en étroite collaboration avec eux. Ce qui n’était pas le cas avec Philippe Douste-Blazy, réputé pour ses gaffes, son manque d’intérêt et surtout de vision géopolitique.

 

Nicolas Sarkozy, lui, a tendance à mener sa politique en solo, souvent sans prendre en compte les observations des diplomates, pour qui il affiche un mépris à peine voilé. Son arrivée à l'Elysée a d’ailleurs donné lieu à des tensions souvent fortes entre la présidence de la République et le Quai d'Orsay, qui se sent dépouillé de ses tâches essentielles.

En mars 2011, par exemple, Nicolas Sarkozy prend la décision, au cours d’un entretien avec deux émissaires libyens, de reconnaître le Conseil national de transition libyen (opposé au Colonel Kadhafi) sans consulter, ou même prévenir le ministre des affaires étrangères Alain Juppé (ni son directeur de cabinet, ni le secrétaire général du Quai). Il autorise par ailleurs les deux envoyés spéciaux d’en faire l’annonce à la presse. « C'est la première fois dans l'histoire de la Ve République qu'une décision majeure de politique étrangère est annoncée par... des personnalités étrangères ! », a alors fustigé un diplomate.

 

Outre la mise en oeuvre de la politique étrangère, le ministère est aussi chargé de défendre les intérêts stratégiques de l’Etat et des ressortissant français, et d’assurer le rayonnement politique, économique et culturel de la France dans le monde.

 

Les relations bilatérales sont donc capitales pour la diplomatie française. Le MAEE doit nouer et entretenir des relations avec les partenaires de la France. Il doit écouter, expliquer, négocier, et tenter d’approfondir les dialogues avec les pays, les cultures, les civilisations.

 

Les chefs de missions, et l‘ensemble personnel travaillant à l’étranger, ont également une fonction de représentation. Selon le décret du 1er juin 1979 relatif aux pouvoirs des ambassadeurs et à l'organisation des services de l'Etat à l'étranger, s’est d’ailleurs leur fonction première. Il ne s’agit pas seulement d’assister à des réceptions et manger des petits fours, ils doivent établir des relations privilégiées auprès des organes directeurs et des autres chefs de mission. Ils représentent le chef de l’Etat ainsi que le gouvernement. Ils ont donc un pouvoir d’action en cas de nécessité (crises, négociations etc.).

 

Mission « Diplomatie culturelle et d’influence »

Le MAEE est responsable de la diplomatie culturelle de la France, ou ce qu'on appelle plus crûment la diplomatie d'influence, ou comme les Anglo-Saxons, le soft ou le smart power.

 

Il s’agit pour le ministère d’assurer le rayonnement culturel de la France mais surtout de renforcer sa présence et son influence dans le monde, notamment par le biais de partenariats actifs dans les domaines culturels, scientifiques, techniques et universitaires.

Selon le Quai d’Orsay, les objectifs de cette diplomatie est de promouvoir la créativité culturelle et intellectuelle française par la promotion des industries culturelles et audiovisuelles et l'organisation de débats d’idées sur les thèmes transversaux à nos sociétés (immigration, bioéthique, laïcité, etc.) ; de repositionner le français comme langue internationale en formant les élites politiques et médiatiques et en aidant ses partenaires à former leurs professeurs de français.

 

Le ministère est aussi chargé de renforcer l’attractivité de l’enseignement supérieur comme moyen d’influence en encourageant la mobilité des meilleurs étudiants dans les disciplines prioritaires ; d’insérer la recherche française au cœur des réseaux en pointe sur les sciences du vivant, les nanotechnologies et sciences pluridisciplinaires, et associer les entreprises et pôles de compétitivité aux actions menées.

 

Il gère également le service public d’enseignement français à l’étranger et est en charge d’assurer la préservation des biens publics mondiaux et de promouvoir les idées de la France en matière d’enjeux globaux.

 

Pour mener ces actions, le MAEE s’appuie sur les opérateurs issus de la loi du 27 juillet 2010 sur la réforme de l’action culturelle extérieure de l’Etat.

 

Il s’agit notamment de l’Institut français, créé en 2011, qui a pour mission de favoriser les échanges artistiques internationaux et la coopération culturelle internationale. Selon Bernard Kouchner, ancien ministre des affaires étrangères, ce nouvel établissement public à caractère industriel et commercial «  a vocation à devenir l’instrument privilégié de la relance de notre action culturelle à l’étranger ».

 

Le Quai travaille également en étroite collaboration avec Campus France, une agence de promotion des formations et des échanges éducatifs et scientifiques, donc de l’enseignement supérieur français, également mis en place par la réforme de 2010; avec FEI (France Expertise Internationale), qui comme son nom l’indique est chargé de « vendre » l’expertise française à l’international ; et avec l’AEFE (Agence pour l’Enseignement Français à l’Étranger).

 

L’AEFE, créée en 1990, est un élément central dans le dispositif d'enseignement français à l'étranger. Il voit d’ailleurs son rôle être renforcé en 2010 dans le cadre de la réforme de l’action culturelle extérieure de l’Etat. Il a pour mission d’assurer le service public à destination des enfants français dont les familles résident à l’étranger; mais aussi de contribuer à la politique d’influence de la France en matière culturelle, économique et politique, notamment par l’accueil d’élèves étrangers, et de  renforcer les relations de coopération entre les systèmes éducatifs français et étrangers, par la promotion et la consolidation du projet pédagogique et éducatif français à l’étranger et une ouverture à la culture du pays d’accueil.

 

Par ailleurs, en 2010-11, le MAEE s’est rapproché de la Fondation Alliance Française. Il souhaite en effet que les  alliances françaises, bien implantées dans le monde et dont le modèle économique est de nature à répondre à la demande locale d’influence française, assurent une médiation auprès des institutions locales et contribuent à la modernisation de l’image de la culture, de l’économie et de la société française.

 

Pour beaucoup, la diplomatie culturelle est indispensable. Sa rentabilité est évidemment difficilement chiffrable mais in fine elle rapporte beaucoup, et coute très peu, en terme d’influence. C’est elle qui fait que la France est encore, malgré sa démographie, une puissance mondiale présente partout par l'esprit et la culture.

 

Cependant, ces dernières années, de nombreux spécialistes et personnalités s’inquiètent du manque de stratégie et de moyens de cette diplomatie d’influence et réclament une refonte du système.

 

En effet, les crédits consacrés à l’action culturelle de la France dans le monde entier ne cessent de baisser, l'enveloppe et le nombre de bourses destinés aux étudiants étrangers ont été réduits de 30 % depuis 2002, l’AEFE souffre d’un manque de financement qui risque de mettre en péril son avenir, de nombreux postes ont été supprimé (et vont continuer de l’être puisque une nouvelle réduction de 610 emplois, au titre du non remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, devrait être prise sur la période 2011-2013), et environ un tiers des centres culturels ont été fermés depuis 2000.

« L'action culturelle extérieure sert depuis trop longtemps aux gestionnaires du Quai d’Orsay de variable d'ajustement à la cure d'amaigrissement qui leur est imposée. Au moment où nos partenaires et concurrents britanniques, avec le British Council, allemands avec le Goethe-Institut, espagnols avec les Institut Cervantès, augmentent fortement les moyens consacrés à la diplomatie d'influence, où la secrétaire d'Etat américaine, Hillary Clinton, a fait de la diplomatie dite de l'intelligence une priorité de son action, comment expliquer que notre pays soit le seul à réduire fortement les crédits consacrés à l'action culturelle ? » écrit Catherine Tasca, ancienne ministre d la Culture (2000-2002) dans une tribune publiée dans le Monde en février 2010.

 

Dans les centres culturels eux-mêmes, on assiste à une dérive inquiétante. On cesse de favoriser l'enseignement du français pour consacrer une grande partie des crédits à l'action artistique, souvent coûteuse. Faire venir une exposition ou une troupe prestigieuse est une très bonne initiative si on en a les moyens, mais certains argumentent qu’ une fois la troupe ou l'orchestre reparti, le public local a vite oublié, tandis que les centaines ou les milliers d'étudiants qui prennent des cours de français deux ou trois fois par semaine constituent une clientèle fidèle qui reste longtemps liée à la France.

 

En outre, les Alliances françaises n'existent pas partout et ne dépendent pas directement du MAEE. Comme les activités culturelles sont elles aussi victimes des coupes budgétaires, les directeurs de centres sont de plus en plus obligés de trouver des "sponsors" locaux, ce qui est de plus en plus difficile mais surtout, soutiennent certains, aliène l’indépendance de la France.

 

Autre point, l'action culturelle de la France est extrêmement dispersée entre un réseau de 144 centres culturels français à l'étranger, 154 services culturels des ambassades de France. S’y ajoutent les alliances françaises et avant la réforme de 2010, l'association CulturesFrance (qui pilotait des grands évènements).  L'ensemble manque de visibilité et de cohérence.

 

Lorsque Bernard Kouchner annonce la modernisation du système en 2010, on souffle un peu. Mais à la lecture du texte, on est  profondément déçu.

 

A l'origine, la grande innovation de cette réforme était la création d'une grande agence, nommée Institut Victor-Hugo, chargée de la promotion de la culture française à l'étranger. Inspirée du modèle britannique avec le British Council,  l’idée était de fusionner les services culturels des ambassades et centres culturels français à l'étranger pour créer un réseau unique au monde, présent dans 160 pays. 

 

Mais tout au long de l'élaboration du projet de loi, Bernard Kouchner a fort à faire pour imposer ses vues. Les diplomates n’aiment pas l’idée d’échanger leurs services culturels contre une entité autonome. Le ministère, étant déjà de plus en plus démuni de ses missions depuis quelques années et surtout depuis l’arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy, est déterminé à garder la main sur le secteur culturel. Les ambassadeurs se font donc entendre en haut lieu, notamment à l'Elysée. Kouchner n’a alors d’autre choix que de reporter son projet de fusion de trois ans.

 

Sa réforme est vidée de substance. L’Institut français est alors créé « pour rendre plus cohérente l'action culturelle de la France dans le monde », mais il apparaît comme un compromis, est qualifié de réformette. On peine à croire que sa mise en place permettra d’améliorer la situation.

 

Au ministère, on jure  que l'objectif reste la fusion mais selon certains observateurs, on a assisté à l'enterrement d'une grande idée. Rendez-vous en 2013 pour en avoir le coeur net…

 

Mission « Solidarité »

Dans le cadre de sa politique extérieure, La France mène également des actions de solidarité envers les pays en développement ou victimes de catastrophe.

Le MAEE est donc chargé de suivre l’action des organisations internationales ainsi que les contributions internationales de la France au système des Nations unies et aux institutions européennes.

 

Il assure également la politique de coopération avec les pays en développement et suit les projets de coopération de sécurité et de défense (hormis la coopération militaire opérationnelle qui relève du ministère de la Défense). Il met notamment en œuvre l'aide bilatérale française dans les pays pauvres, pour l'atteinte des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) et l'amélioration de la gouvernance démocratique.

 

Il soutient aussi les pays émergents à enjeux globaux, moins dépendants de l’aide et  plus ciblés dans leurs demandes ainsi que les pays touchés par les crises, que celles-ci résultent de catastrophes naturelles ou de conflits politico-militaires.

 

Ces actions sont menées par la direction générale de la mondialisation, du développement et des partenariats (DGM) du Quai d’Orsay, mise en place en 2009 et auquel contribuent aussi la direction des Nations unies, des organisations internationales, des droits de l’Homme et de la francophonie, le Centre de crise et la direction de la communication et du porte-parolat. Ces directions s’appuient sur de nombreux opérateurs comme l’AFD (Agence française de développement), le GIP Esther (Ensemble pour la solidarité thérapeutique), CFI (Canal France International) et le GIP pour l’éducation numérique en Afrique.

 

La politique de coopération a pour but de prolonger et soutenir l’action de la France dans les Etats concernés et une grande partie de ces projets est menée en Afrique.

 

Mission « Affaires consulaires »

Le Ministère gère le réseau consulaire français à l'étranger. Ceci est très fortement lié à la diplomatie, dans la mesure où il faut être en bon terme avec le maximum de pays dans le monde pour assurer une présence française dans la plupart des pays. En 2011, la France est présente dans tous les pays du monde, sans exception.

 

Le Quai d’Orsay négocie et gère les accords internationaux touchant à la situation des personnes (circulation, fiscalité, sécurité sociale). Il est chargé de fournir aux Français établis ou de passage hors de France les services publics essentiels, c’est-à-dire la panoplie des services consulaires, mais aussi une assistance sociale.

 

Les consulats et les ambassades fournissent des services administratifs aux Français de l’étranger (délivrance d’actes d’état civil, documents d’identité et de voyage, élections etc.), et participent à la promotion de l’emploi et de la formation professionnelle.  

 

Ils assurent aussi la protection des ressortissants et des intérêts français à l’étranger. Ils ne peuvent pas "sauver" les français qui enfreignent la loi du pays, mais ils s'assurent que, en cas d'arrestation, les conventions internationales sont bien respectées.

 

En cas de crise majeure, c’est le ministère (ambassades, consulats et le Centre de crise de l’administration centrale) qui coordonne le rapatriement des ressortissant français.

Il travaille en liaison avec le ministère de Intérieur pour tout ce qui concerne les documents d’identité et de voyage, élections, état civil, et avec le ministère de la  Justice pour les questions d’adoption internationale, de conventions bilatérales, notariat.

Le Quai d’Orsay participe également à la définition et à la mise en œuvre de la politique en matière d'entrée, de séjour, d'établissement et d’asile des étrangers en France ; et les consulats instruisent les demandes de visas des étrangers.

 

Pour mener les missions qui lui incombent, le ministère des Affaires étrangères est aidé par l'ensemble du réseau diplomatique et consulaire français, qui englobe presque 400 représentations de la France à l'étranger (162 ambassades et 235 consulats généraux et consulats). Avec 16 000 agents dont deux tiers à l’étranger, le réseau est le deuxième plus important en terme du nombre des représentations après celui des États-Unis.

 

Au delà des diplomates, c’est une centaines de métiers : policier, gendarmes, médecins, universitaires, traducteurs, cuisiniers, informaticiens, juristes, conservateurs de patrimoine etc.

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Où va l’argent

Une grande partie de l’enveloppe attribuée au Quai d’Orsay est allouée à la mission « Action de la France en Europe et dans le monde ». Cette dernière rassemble l’ensemble des moyens du ministère, à l’exception de ceux qui sont dévolus aux actions spécifiquement destinées aux affaires consulaires, à la coopération scientifique, technique et culturelle, et à l’aide publique au développement. Globalement, ils représentent près d’un tiers des crédits et la moitié des emplois du ministère.

 

Les principaux objectifs de cette mission sont la construction de l’Europe, le renforcement de la sécurité internationale et des Français, la promotion du multilatéralisme ainsi que la disposition d’un outil diplomatique efficient et de qualité.

 

Le ministère réserve des crédits d’intervention au Secrétaire d’Etat aux affaires européennes, aux experts français détachés auprès des institutions de l’UE et à ceux envoyés dans des missions établies par l’UE ou l’OSCE.

 

Il dépense également une certaine somme pour le renforcement du rôle de Strasbourg comme capitale européenne. Ces crédits pourraient cependant être suspendus puisque la capitale d’Alsace serait semble-t-il menacée. Une partie des eurodéputés, lassés des voyages à répétition entre Bruxelles et Strasbourg souhaite en effet déménager le Parlement européen et toutes les activités parlementaires dans la capitale belge, au grand dam de la France qui a annoncé en mai 2011 qu’elle allait saisir la Cour de Justice de l’UE. Si certains arrangements et compromis ont déjà été faits, aucune décision n’a encore été prise.

 

Le budget recouvre aussi les crédits relatifs aux contributions que la France doit verser au budget des 72 organisations internationales et européennes auxquels elle est partie, aux opérations de maintien de la paix décidées par l’ONU. Ces contributions dites « obligatoires » permettent à la France d’être un acteur de premier plan sur la scène internationale et sur les questions globales telles que la sécurité, l’environnement, le commerce ou encore l’énergie.

 

En outre, le ministère finance les projets de coopération de sécurité et de défense, dont les orientations sont fixées en Conseil de Défense et qui sont généralement  mis en œuvre en liaison avec les directions géographiques concernées. Ils sont menés en partenariat avec des Etats étrangers, en grande majorité en Afrique sub-saharienne. Toutefois, ces crédits ne comprennent la coopération militaire, qui relève du ministère de la Défense.

 

Enfin, le budget porte également les moyens dévolus au fonctionnement de l’administration centrale du ministère, y compris les dépenses du personnel, et au Centre de crise.

 

Le MAEE consacre également une partie de son budget à sa diplomatie culturelle et d’influence, qui regroupe l’ensemble des politiques de coopération (culturelle, linguistique, universitaire, enjeux globaux), considérées comme des vecteurs d’influence pour la France.

 

Les moyens accordés à cette mission sont donc utilisés pour favoriser  la créativité culturelle et intellectuelle française auprès des pays étrangers, promouvoir la langue française dans le monde, assurer le service d’enseignement français à l’étranger; renforcer l’attractivité de l’enseignement supérieur et de la recherche (notamment par le biais de bourses), assurer la préservation des biens publics mondiaux et promouvoir les idées de la France en matière d’enjeux globaux (l'environnement, la santé, la stabilité financière et économique, la sécurité alimentaire et la diffusion de la connaissance).

Ce dernier objectif a été intégré dans le budget en 2010. Le MAEE apporte une contribution financière à des projets (par des bourses, des échanges d'expertise ou des subventions) qui concernent ces sujets. Le centre culturel de Pékin par exemple a reçu en 2010 une subvention pour organiser un cycle de conférences sur l'environnement et l'ambassade de France au Mali a participé au financement d'un congrès francophone de chirurgie.

 

Les dépenses d’animation du réseau et de fonctionnement représentent un peu moins de 70% des crédits alloués à la diplomatie culturelle et d’influence. Elles comprennent les subventions accordées à ses opérateurs : l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE), à l'Institut français, ainsi qu’au nouvel établissement public CampusFrance.

 

Elles incluent également les dépenses de personnel du réseau culturel, c’est- à-dire de la direction générale de la mondialisation, du développement et des partenariats, des services de coopération et d'action culturelle (SCAC) des ambassades, du réseau des Alliances françaises, les aides aux établissements à autonomie financière culturels et de recherche ainsi que l'assistance technique mise à la disposition des institutions des pays partenaires.

 

Le reste du budget du MAEE est consacré à l’animation du réseau consulaire et à la politique d’aide publique au développement de la France (dépenses du personnel et crédits de coopération bilatérale et multilatérale). En 2011, une grande partie des moyens attribués à cette dernière a servi au Fonds européen de développement (FED) et au Fonds Mondial de lutte contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme.

 

Par ailleurs en 2011, une enveloppe spéciale de 80 M€ a été accordée au ministère pour couvrir les dépenses liées à la Présidence française du G8 et du G20, notamment pour la préparation, l’organisation et le déroulement des Sommets.

 

Le budget du ministère des affaires étrangères a toujours été très réduit. Il n’a jamais représenté plus de 1,3 % du budget de l’Etat, et depuis plusieurs années, il ne cesse de baisser.

 

En vingt-cinq ans, il a perdu plus de 20% de ses moyens financiers et de son personnel. Mais depuis que la Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP) a été lancée en 2007,  la situation ne cesse d’empirer.

 

En effet, en application de la règle de non remplacement d'un fonctionnaire sur deux, le Quai a perdu 700 empois sur la période 2009-2011 et devrait en supprimer encore 450 en 2012-2013, soit environ -7 % en 5 ans. Selon Alain Juppé et Hubert Védrine, qui ont pris la plume en juillet 2010 dans Le Monde pour décrire « un affaiblissement sans précédent », cela représente d’ailleurs trois emplois sur quatre de départs en retraite, soit plus que la règle générale d’un sur deux.

 

« Tous les ministères doivent évidemment contribuer à la réduction des dépenses publiques, mais aucune administration n’a été réduite dans ces proportions. Cela s’explique en partie parce que les préjugés sont nombreux et tenaces contre "les diplomates" (pourtant rémunérés selon les mêmes grilles que l’ensemble de la fonction publique), et que le métier diplomatique est rarement expliqué alors qu’il est indispensable à la défense des intérêts de notre pays, » s’indignent-ils.

 

Bernard Kouchner, alors ministre des affaires étrangères réfute ces observations, lui aussi dans une tribune parue dans le Monde trois jours plus tard : « si, pendant vingt ans, le budget du ministère a fortement diminué, aujourd'hui il ne baisse plus. Depuis mon arrivée en 2007, il a augmenté de 9,1 %. En 2011, il augmentera de 4,5 %. Tous les ministères régaliens ne peuvent pas en dire autant, dans un contexte où l'Etat doit économiser 10 milliards d'euros en trois ans. »

 

En effet, en voyant les chiffres, on pourrait se méprendre, le budget 2011 s’élevant à 5,1 milliards d’euros contre 4,9 en 2009. Mais comme l’explique Jean-Pierre Farjon, secrétaire général du syndicat CFDT au ministère des affaires étrangères, l’examen de la loi de finances 2011, et son exécution, révèle que cette "augmentation" est un simple artifice comptable, qui résulte du transfert sur les lignes budgétaires du Quai de dépenses jusqu'alors inscrites sur celles d'autres ministères. Le budget du ministère est bel et bien en recul, aussi bien en fonctionnement qu'en investissement.»

 

Le budget effectif du ministère n'est en réalité que de 3 milliards environ, ce qui est largement insuffisant pour financer un réseau mondial et conduire une politique d'influence ambitieuse.

 

La diplomatie culturelle a été sévèrement touchée et ne dispose plus que d'un budget dépassant à peine les 200 millions d'euros, soit l'équivalent de celui de deux grandes écoles françaises comme Polytechnique, ou du tiers du coût de nos opérations militaires en Afghanistan. Le budget des bourses données à des étrangers est aussi en chute libre, passant de 105 millions d'euros en 2006 à 61 millions d'euros en 2010.

 

Les contributions volontaires aux programmes des Nations unies, qui témoignent de l’attachement de la France au multilatéralisme et aux valeurs humanistes et de solidarité, ont diminué de moitié en trois ans : avec un total de 48 millions d'euros, la France devient un contributeur secondaire. Elle n'est plus qu'au 17e rang des contributeurs du Haut-Commissariat pour les réfugiés ou de l'Unicef, au 15e rang de l'Unwra (Aide aux 4 millions de réfugiés de Palestine), etc. On pourrait multiplier les exemples.

 

Pour Juppé et Védrine, « les économies ainsi réalisées sont marginales. En revanche, l’effet est dévastateur : l’instrument est sur le point d’être cassé, cela se voit dans le monde entier. Tous nos partenaires s’en rendent compte. »

 

Or, comme le relève le Livre blanc sur la politique étrangère et européenne de la France, « on ne peut réduire indéfiniment les effectifs et les moyens sans remettre en cause les ambitions européennes et internationales assignées à notre action extérieure ».

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Polémiques:

Politique étrangère : le match MAEE vs Elysée

Depuis une dizaine d’années, le ministère des Affaires étrangères connaît une crise sans précédent.  Coupes budgétaires régulières, diminution des effectifs, ministres accusés (à tort ou à raison) d’amateurisme, structures obsolètes, clichés de l’ambassadeur avec petit-four, tasse de thé et chocolat …ne sont que quelques unes des raisons qui rendent les diplomates français moroses et dépités.

 

Ils se sentent dépossédés. Le budget accordé au Quai ne représente qu’environ 1 % du budget de l'Etat, soit à peu près le même coût que le ministère des anciens combattants.. Par ailleurs, 60 % de l’enveloppe ne fait que transiter par lui puisque une grande partie de celle-ci sert pour les contributions obligatoires de la France aux organisations internationales, Union européenne comprise.

 

En juillet 2010, Alain Juppé et Hubert Védrine, tous deux anciens ministres des Affaires étrangères, et inquiets du sort et de l’avenir du Quai d’Orsay, écrivent un article intitulé "Cessez d'affaiblir le Quai d'Orsay !", dans lequel ils décrivent leur ancienne maison comme un instrument diplomatique « sur le point d’être cassé », subissant « un affaiblissement sans précédent » Selon eux, « en vingt-cinq ans, le ministère des affaires étrangères a déjà été amputé de plus de 20% de ses moyens financiers ainsi qu’en personnels. »

 

Autre problème, une partie de l'opinion et des dirigeants remet en cause la nécessité même d'avoir une diplomatie active. Le MAE est de plus en plus dépouillés de ses dossiers et joue un rôle de moins en moins important dans les négociations internationales. Désormais les questions internationales liées à l’économie, à  la santé, à l'environnement et même aux visas sont traitées par d'autres ministères. C’est Jean-Louis Borloo, ministre de l’Ecologie en 2010 qui, par exemple, est chargé des négociations sur le climat en 2010, en dépit du fait que c'est justement le coeur de métier du Quai, avec toute une ingénierie diplomatique et une expertise réelle.

 

De plus, de nombreux enjeux globaux sont maintenant traités lors de sommets internationaux comme le G8 ou le G20. Et le rôle des diplomates apparaît de moins en moins clair.

 

Par ailleurs, si la politique étrangère a toujours été, sous la Ve République, le « domaine réservé » du chef de l'Etat, elle n'a jamais été autant sous la tutelle de l'Elysée que depuis l'arrivée de M. Sarkozy. Au risque d'affaiblir les outils de la diplomatie. Il semblerait que le président définisse sa propre politique étrangère sans tenir compte des analyses des ambassades.  Une politique étrangère que beaucoup de spécialistes qualifient «  de diplomatie de crise », peu soucieuse du long terme et faite de coups médiatiques.

« Les gesticulations présidentielles ne semblent s'épanouir que dans l'immédiateté de la crise (Géorgie, Cote d'Ivoire, Libye), dans le but d'entretenir une image de volontarisme et de dynamisme auprès de l'électorat, » écrivent Catherine Fraissinet et Henry Olivier, spécialistes des questions internationales pour la Fondation Jean-Jaurès dans un article du Monde, La politique étrangère française est devenue déséquilibrée, paru en juin 2011.

Certains câbles Wikileaks  ont révélé que le MAE « était à la traîne, soit court-circuitée par la diplomatie parallèle de Robert Bourgi (un proche de Claude Guéant) ou tout simplement par le président Sarkozy omniprésent dans tous les domaines. Les diplomates américains exprimaient eux même leur incompréhension face à une telle lutte d’influence qui minait la diplomatie française et ne pouvait que constater l’influence croissante des réseaux parallèles comme celui de Bourgi qui profitaient de la confusion et du désordre pour étoffer leurs carnets d’adresse et s’enrichir, » peut-on lire sur le site Opération Leakspin.

 

Résultat, les diplomates ont l’impression de ne servir à rien, ou pire, de bouc-émissaires. Ils sont en colère. En février 2011, un groupe de diplomates français (de générations et de points de vu politiques différentes, certains actifs, d'autres à la retraite) dénonce la politique étrangère de Nicolas Sarkozy dans une tribune anonyme signée par le « groupe Marly », et parue dans Le Monde.

 

« A l'encontre des annonces claironnées depuis trois ans, l'Europe est impuissante, l'Afrique nous échappe, la Méditerranée nous boude, la Chine nous a domptés et Washington nous ignore ! Dans le même temps, nos avions Rafale et notre industrie nucléaire, loin des triomphes annoncés, restent sur l'étagère. Plus grave, la voix de la France a disparu dans le monde. Notre suivisme à l'égard des Etats-Unis déroute beaucoup de nos partenaires (…) Notre politique étrangère est placée sous le signe de l'improvisation et d'impulsions successives, qui s'expliquent souvent par des considérations de politique intérieure».

 

Ils accusent le président de vouloir les rendre responsable des déboires de sa politique, en particulier à l’égard de la Tunisie ou de l'Egypte lors du printemps arabe, alors que c’est l’Elysée qui aurait pris, seule, toutes les décisions sans tenir compte des conseils du MAE.

 

Et « à l'écoute des diplomates, bien des erreurs auraient pu être évitées, imputables à l'amateurisme, à l'impulsivité et aux préoccupations médiatiques à court terme. »

Selon eux, « la voix de la France a disparu dans le monde. »

 

La tribune déclenche de nombreuses réactions. Axel Poniatowski président de la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale et Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, par exemple rétorquent dans une autre tribune, La diplomatie française est malmenée de l'intérieur, publiée en mars 2011, « que plus que jamais la réactivité est vitale, dans un monde où le sort d'un otage, d'une nation, d'une économie, peuvent se jouer en quelques instants . Crise russo-géorgienne, relance d'une Union européenne en panne institutionnelle avec le traité de Lisbonne, réforme du système monétaire international au pire moment de la crise, alors que la transition entre les présidents George W. Bush et Barack Obama faisait peser son inertie sur l'économie mondiale… N'en déplaise aux auteurs de petites polémiques surannées, la réactivité que déploie aujourd'hui le président de la République est un bel atout dans la gestion des crises du XXIe siècle. »

Henri Guaino, conseiller spécial de Sarkozy n’attend qu’une semaine pour répondre avec un article, également paru dans le Monde, dont le titre est explicit, Ce n'est pas aux diplomates de concevoir la politique étrangère de la France (notons tout de même que sur le site du MAEE, l’une des missions listée est justement « de concevoir la politique extérieure de la France »).

 

« Vous dites qu'elle (la voix) n'est pas audible. Vous n'écoutez pas bien. Elle n'a jamais été aussi entendue et l'on n'a peut-être jamais autant attendu d'elle dans le monde depuis au moins deux décennies. Sans la France, il n'y aurait pas eu le G20. Comment aurait tourné la crise financière ? La Géorgie existerait-elle encore ? Comment aurait évolué la crise de l'euro ? A Copenhague, la France a évité un échec total et, vous le savez bien, le blocage n'était pas diplomatique, mais politique. Suivisme à l'égard des Etats-Unis, dites-vous ? Mais où avez-vous vu la France à la remorque de quiconque ? Lors des deux derniers sommets de l'OTAN où la France s'est opposée aux Etats-Unis ? Au Liban ? Au G20 ? A Bruxelles ? A l'ONU ? Allons donc partout elle prend l'initiative. Impulsivité vis-à-vis du Mexique ? Mais oubliez-vous que le premier devoir d'un gouvernement est de protéger ses ressortissants quoi qu'ils aient pu faire ? Faut-il être indifférent au sort d'une jeune Française condamnée à soixante ans de prison ? »

 

Certes, tous ces arguments peuvent être débattus mais là n’est pas la question. Ce qu’il est intéressant de noter est que personne ne semble contester le fait que l’Elysée agisse de son propre chef et de manière, restons neutre, « rapide » sur les dossiers.

 

Les diplomates français peuvent donc en effet se demander quelle est la position du ministère des Affaires étrangères aujourd’hui et surtout quelle devrait-elle être? Doit-il jouer un rôle uniquement de mise en cohérence, de coordination ou un rôle plus stratégique, de conseil? La diplomatie française a-t-elle toujours sa place ?

 

Selon Henri Guaino, il ne faut pas confondre politique étrangère et diplomatie: « la diplomatie est une technique, alors que la politique étrangère, comme son nom l'indique, est de la politique (…) Le diplomate est là pour éclairer la décision et pour la mettre en oeuvre, non pour la prendre (…) A la bureaucratie, aussi experte soit-elle, de peser indéfiniment le pour et le contre. A la politique d'être ce qu'elle doit être : une force de transgression qui fait des paris raisonnés sur l'avenir et dont on jugera la pertinence à l'aune des conséquences. »

 

Le groupe Marly, lui veut une politique étrangère fondée sur la cohérence, l'efficacité et la discrétion,  « être au service d'une politique réfléchie et stable (…) il y a lieu de préciser nos objectifs sur des questions essentielles telles que le contenu et les frontières de l'Europe de demain, la politique à l'égard d'un monde arabe en révolte, nos objectifs en Afghanistan, notre politique africaine, notre type de partenariat avec la Russie. »

Il souhaite « une réflexion de fond à laquelle ils (les diplomates) sauront apporter en toute loyauté leur expertise. Ils souhaitent aussi que notre diplomatie puisse à nouveau s'appuyer sur certaines valeurs (solidarité, démocratie, respect des cultures) bien souvent délaissées au profit d'un coup par coup sans vision. »

 

L’ironie dans tout cela est, que si l’on met de coté le fait que les deux partis ont des opinions différentes sur la politique étrangère française, et que l’on ignore le ton plutôt condescendant d’Henri Guaino qui taxe le Quai de simple bureaucratie,  tout le monde semble plus ou moins d’accord sur le rôle à proprement parlé du diplomate et du ministère.

 

Alain Juppé l’a d’ailleurs bien résumé dans son article "Cessez d'affaiblir le Quai d'Orsay !", « dans la compétition multipolaire, où tout se négocie en permanence avec un grand nombre d’interlocuteurs qu’il faut connaître avec précision, la France a plus que jamais besoin de moyens d’information et d’analyse. Les autres ministères présents à l’étranger (finances, défense) sont essentiels aussi et ont leur fonction propre. Le rôle du Quai d’Orsay est de rendre cohérentes toutes les formes de notre présence, ce qui est la clé de notre influence. »

 

Espérons alors qu’il arrive à réconcilier l’Elysée et les diplomates, et surtout que chacun reste dans ses attributions et respecte le travail des autres. Mais s’il est vrai que l’arrivée de cette personnalité de poids au Quai d'Orsay peut être interprétée comme un moyen de reprendre l'initiative, il ne faut pas sous-estimer la volonté de Nicolas Sarkozy…de prendre les décisions…comme le confirme l’incident de l’annonce de la reconnaissance par la France du Conseil libyen en mars 2011.

 

Le « ratage » de la France face à la révolte tunisienne

La réaction de la France face au soulèvement du peuple tunisien contre le régime qui l'oppressait en janvier 2011 a provoqué l’indignation de l’opinion publique et de la classe politique française, en particulier dans les partis d ‘opposition notamment le Parti Socialiste.

 

La diplomatie française a donné l'impression d'appuyer jusqu'au bout le régime du président tunisien, Ben Ali, ne montrant aucun signe de soutien aux revendications de démocratisation exprimées par les manifestant, et qui ont conduit à la fuite du dictateur, au pouvoir depuis vingt-trois ans, en Arabie saoudite.

 

Les protestations, qui débutent le 17 décembre 2010, ont duré quatre semaines. Tout le long, la France aura fait profil bas, se limitant à appeler à l'apaisement sans jamais dénoncer la répression policière, ni l'emploi de tirs à balles réelles des forces de l'ordre, qui ont provoqué au moins 66 morts en un mois, selon les organisations de défense des droits de l'homme.

 

Le 11 janvier, alors que la contestation gagne Tunis et que le gouvernement vient d’établir un bilan de 21 civils tués par balles depuis le début des troubles, la ministre des affaires étrangères, Michèle Alliot-Marie propose devant l’Assemblée nationale une coopération policière.

 

La France veut faire bénéficier la Tunisie du « savoir-faire de [ses] forces de sécurité », afin de « régler des situations sécuritaires de ce type », explique la ministre, afin que « le droit de manifester soit assuré, de même que la sécurité ». L'« apaisement peut reposer sur des techniques de maintien de l'ordre », estime Mme Alliot-Marie.

 

Mme Alliot-Marie évoque des « troubles sociaux de grande ampleur », sans parler de l’aspect politique des revendications des manifestants, qui dénoncent un pouvoir confisqué par la famille Ben Ali et s'en prennent aux affiches du chef de l'Etat. « Plutôt que de lancer des anathèmes, notre devoir est de faire une analyse sereine et objective de la situation », commente-t-elle.

 

La France propose même un accroissement de l'aide à la Tunisie, notamment au niveau européen, pour dénouer la crise.

 

Lorsque deux jours plus tard, M. Ben Ali annonce à la télévision qu’il renonce à briguer un nouveau mandat présidentiel en 2014 et annonce la fin des tirs à balles réelles de la police ainsi qu’un rétablissement de la liberté de la presse, le Quai d'Orsay, sur instructions de l'Elysée,  note positivement ces décisions « en faveur de l'ouverture politique et démocratique de la Tunisie » et « encourage les autorités tunisiennes à poursuivre sur cette voie ».

 

Et lorsque le régime tunisien tombe, les autorités françaises se réfugient derrière des communiqués succincts tout en se défendant d'avoir fait preuve de myopie sur la crise tunisienne. Le message de la diplomatie française aurait été pragmatique. Ce n'est pas le rôle de la France de dire si Ben Ali doit partir mais d’aider la Tunisie à résoudre ses problèmes.

 

Pourquoi la France n'a-t-elle pas écouté les opposants tunisiens, qui qualifiaient le régime de dictature violente et dénonçaient son caractère criminel ?

 

Plusieurs hypothèse sont alors avancées. A l’Elysée, on remet la faute sur les ambassadeurs. Quand le mouvement de contestation a commencé, les informations remontant des ces derniers parlaient alors d'un simple mouvement social, ce qui a empêché le gouvernement français de prendre la juste mesure de la « désespérance d'un peuple frère ».

 

Les ambassadeurs ripostent que c’est l’Elysée qui n’a pas pris en compte les conseils et les analyses du Quai d’Orsay.

 

D’autres pensent que la diplomatie française souffre d’un éloignement vis-à-vis de sa propre société civile et des mouvements démocratiques étrangers et qu’elle pratique encore une diplomatie des Etats et non une diplomatie des peuples.

 

Certains vont plus loin et accuse le gouvernement français de vouloir protéger ses intérêts économiques avant tout. On soupçonne Michèle Alliot-Marie (MAM) de vouloir aider ses « amis » tunisiens. En effet, le Canard Enchainés révèle alors que MAM a effectué deux trajets à bord d'un avion appartenant à un homme d'affaires associé au clan Ben Ali-Trabelsi au moment des émeutes et que ses parents ont profité du séjour tunisien de la famille en décembre 2010 pour acheter à Aziz Miled, propriétaire de l'avion, des parts dans une société civile immobilière (SCI). Le fait qu’elle mente face à n’aide pas à sa crédibilité. 

 

Résultat, après à peine quelques mois à la tête du Quai d’Orsay, Mme Alliot-Marie est contrainte de démissionner.

 

Aujourd’hui le gouvernement français, cherche à reconstruire sa politique extérieure face aux bouleversements historiques à l'oeuvre dans le monde arabe, car avec le « printemps du Jasmin », la crédibilité et l'influence de la France dans des régions stratégiques sont en jeu.

 

Le Quai d’Orsay  doit reformuler un message en direction de 400 millions d'Arabes et trouver le moyen de gagner leur confiance, alors qu‘il a complètement ratée le départ de la révolution et perdu ses principaux points d'appui: l'« ami » Ben Ali en exil ; le « raïs » égyptien Hosni Moubarak chassé ; l'Union pour la Méditerranée en coma prolongé). Il doit également rebondir après l'échec de sa politique de réconciliation menées avec le Syrien Bachar Al-Assad depuis 2007, qui est désormais frappé de sanctions européennes, et avec Mouammar Kadhafi, soumis à une campagne de bombardements trois ans après avoir été reçu avec les honneurs à l'Elysée.

 

Depuis sa nomination à la tête du Quai d’Orsay le 27 février 2011, Alain Juppé ne cesse de prôner les valeurs démocratiques. Il cherche à mettre la diplomatie française en mouvement et surtout à renouer le dialogue avec les peuples arabes.

 

Le remplacement deus semaines plus tard de Pierre Ménard, l’ambassadeur de France en Tunisie lors des révoltes, par l’ambassadeur-star du sarkozysme, Boris Boillon, jusqu'ici à Bagdad, n’est pas franchement prometteur. En effet, M. Boillon incarne la diplomatie du business quand la priorité devrait être de renouer avec la société civile.

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Création: 1589
Budget annuel: 5,1 milliards d’euros (2011)
Employés: 16.000

Ministère des Affaires étrangères et du Développement international

Laurent Fabius
Ministre des Affaires étrangères

Né le 20 aout 1946 dans une riche famille d’antiquaires d’origine juive ashkénaze, le biographe de Laurent Fabius, Jean-Gabriel Fredet, écrit dans « Les Brûlures d’une ambition » (Hachette Littératures en 2002) : « Le nom de Fabius remonte à son arrière-arrière-grand-père Joseph, né en Moselle, commis-marchand de son état, qui s’appelait en réalité Lion et choisit de prendre Fabius comme patronyme lorsqu’en 1808 les Juifs reçurent le droit de porter un nom de famille ».

Le paradoxe du grand bourgeois socialiste

Tout le temps de sa vie politique cette origine grand bourgeoisie lui sera reprochée tant par ses détracteurs que par certains de ses alliés du parti socialiste. Elie Fabius, le grand-père, fut l’un des principaux acteurs du marché de l’art des années 1882-1942. La saga Fabius s’explique par des éclairs de génie. Jean-Gabriel Fredet relate ainsi dans «  Les brûlures d’une ambition », qu’André, le père de Laurent Fabius avait jeté son dévolu sur une toile posée à même le sol dans une vente sans importance. Une fois nettoyée et expertisée, l’œuvre se révéle être un Georges de La Tour ! Aujourd’hui, elle est baptisée « La madeleine Fabius ».

Laurent Fabius ne suivra pourtant pas la voie familiale, c’est son frère François Fabius qui reprend le flambeau jusqu’à son décès en 2006. Et c’est en 2011 après 129 ans d’existence, que la galerie Fabius Frères ferme ses portes. La collection est éparpillée aux enchères en octobre de la même année,  pour un montant de 9,6 millions d’euros. 400 lots sont mis en vente dont une paire de vases Médicis en porcelaine de Sèvres (1811), acquise par le Metropolitan museum de New York pour 983 150 euros. Des records ont été enregistrés pour des œuvres du sculpteur valenciennois du XIXe,  Jean-Baptiste Carpeaux,  ou Claude Gillot, un peintre du début XVIIIe. A cette occasion, les rapports ambigus entre les socialistes et l’argent fait à nouveau la Une des journaux. A Dominique Strauss-Kahn les pâtes aux truffes et la place des Vosges, où il est voisin de Jack Lang, tandis que Laurent Fabius habite place du Panthéon.

L’enfance et l’adolescence du jeune Laurent est calme et heureuse. Il est élève au lycée Janson-de-Sailly, dans le XVIe arrondissement de Paris et après le baccalauréat, il s’inscrit en hypokhâgne au lycée Louis-le-Grand puis est admis à l’École normale supérieure, où il est reçu major à l’agrégation de lettres modernes. Il intègre en parallèle, l’Institut d’études politiques de Paris. Lors de ces études à Sciences-Po, il est responsable de la Conférence Olivaint, organisation catholique, qui devient alors plus laïque. Il intègre ensuite l’École nationale d’administration, promotion François Rabelais (1971-1973), il effectue son stage en préfecture dans le Finistère. Il sort dans les trois premiers et devient auditeur au Conseil d’État. Peu après sa sortie de l’ENA, en 1974, Laurent Fabius adhère au Parti socialiste. Il est élu premier adjoint au maire du Grand-Quevilly en 1977, puis devient député de la quatrième circonscription de la Seine-Maritime. En 1979, sur recommandation de Jacques Attali, il devient directeur de cabinet de François Mitterrand et travaille à ses côtés jusqu’à sa victoire de 1981. Il le défendra avec vigueur lors du congrès de Metz en avril 1979, en affirmant contre Michel Rocard que : « Entre le Plan et le marché, il y a le socialisme ».

 

Une carrière politique précoce

 En 1981, à la suite de la victoire de François Mitterrand à l’élection présidentielle d’avril-mai, il est nommé ministre du Budget et instaure l’Impôt sur les grandes fortunes, l’ancêtre de l’Impôt de solidarité sur la fortune qui sera abolie en 1987 par le gouvernement de Jacques Chirac. Les œuvres d’art étant exclues de l’assiette de recouvrement de l’impôt nouvellement créé, une polémique visant directement Laurent Fabius enfle, la fortune familiale de ses parents étant  bâtie sur le commerce des œuvres d’art. Mais il conteste être à l’origine de cette mesure. Selon la biographie de Jean-Gabriel Fredet, c’est Jack Lang, alors ministre de la Culture, qui aurait obtenu cette exonération, contre l’avis de Fabius.

Au sein du gouvernement, Laurent Fabius plaide un temps l’application fidèle du programme de la gauche mais se ravise très vite en se ralliant finalement au  « tournant de la rigueur » voulu par Pierre Mauroy alors Premier ministre. Dans le cadre de ses fonctions, François Mitterrand le charge en 1983 d’examiner l’opportunité d’une sortie du Système monétaire européen (SME). Il en démontre, portant, les inconvénients et le président Mitterrand décide au final de suivre les recommandations de son ministre et de maintenir la France dans le SME. Lors d’une interview pour l’Institut François Mitterrand le 21 mars 2005, François Stasse, conseiller économique du président François Mitterrand de 1981 à 1984, expliquait : « le Président a quand même choisi l’option européenne. Je pense que la perspective d’une France isolée en Europe lui était insupportable au moment même où la menace soviétique continuait d’exiger la solidarité franco-allemande dont il a fait preuve lors de son fameux discours au Bundestag. J’ajoute, malgré ce que je viens de dire sur sa réticence à l’égard de toute science économique, que je ne crois pas que les partisans de l’« autre politique » aient réussi à le convaincre que cette option lui laisserait les mains plus libres pour atteindre les objectifs économiques et sociaux du programme de 1981 »

Puis en 1983, Laurent Fabius est nommé ministre de l’Industrie et de la Recherche, et ministre de la Modernisation industrielle du temps où les plus importantes entreprises industrielles étaient dans le giron de l’État. Dans cette fonction, il a entrepris de profondes restructurations socialement difficiles qui lui ont acquis l’estime de nombreux dirigeants d’entreprise mais le fâche avec la CGT.

 

Premier ministre à 37 ans…

Sa carrière politique déjà fulgurante gravit un échelon décisif lorsqu’il devient premier ministre en 1984. À la suite de l’échec du projet de réforme de l’éducation mise en œuvre par Alain Savary, François Mitterrand décide de changer de Premier ministre, et remplace Pierre Mauroy par Laurent Fabius le 17 juillet 1984. À 37 ans, il est le plus jeune Premier ministre de la Vème République. Arrivé dans une situation de crise, il poursuit la « politique de la rigueur » de Mauroy afin de maîtriser la dette de l’État et l’inflation. Dans son discours d’investiture, il propose de « moderniser et rassembler » le pays. Mais le Parti communiste, qui critiquait la politique suivie depuis 1983, refuse de participer à son gouvernement et marque une cassure avec la gauche multiple de François Mitterrand.

Au poste de premier ministre, Laurent Fabius se distingue en empiétant parfois sur le champ de la diplomatie, domaine réservé du président de la République. Ainsi, en 1985, il prend fait et cause pour la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud et rencontre l’évêque anglican Desmond Tutu lors d’une grande réunion à Paris en mai 1985. A la suite de cette entrevue, il obtient que la France impose des sanctions au régime de Pretoria : embargo commercial, suspension de tout nouvel investissement français en Afrique du Sud, rappel de l’ambassadeur de France. Les sanctions s’étendent au domaine privé et à la demande du gouvernement Fabius, les écuries françaises de Formule 1 Ligier et Renault décident de ne pas participer au Grand Prix d’Afrique du Sud 1985. En juillet de la même année, lors d’une interview accordée au quotidien Le Matin, il dit de lui : « Au jeu des définitions, je dirais que je suis un socialiste moderne, pragmatique et amoureux de la liberté ».

Et sur cette voie, il persiste lorsqu’en décembre de cette même année 1985, il s’oppose à François Mitterrand qui invite le général Jaruzelski, chef de la République populaire de Pologne, au même moment où ce dernier réprime la contestation du syndicat Solidarność, conduit par Lech Wałęsa. Refusant de se taire, il exprime son trouble à la tribune de l’Assemblée nationale, puis à la télévision, ce qui provoque le mécontentement de Mitterrand. Mais le fougueux premier ministre passe outre et dénonce dans la foulée les excès du régime de Fidel Castro, alors même que Danielle Mitterrand et Jack Lang sont régulièrement invités par le chef de l’État cubain.

 

… et quelques scandales

Tout n’est pas rose et le passage de Laurent Fabius à l’hôtel Matignon entre 1984 et 1986 est marqué par deux scandales retentissants qui lui colleront à la peau pendant des années :

- L’affaire du Rainbow Warrior

En juillet 1985, le Rainbow Warrior, bateau de l’organisation écologiste Greenpeace mouille à Auckland en Nouvelle-Zélande. Son objectif suit une ligne politique et stratégique pour laquelle l’organisation milite depuis plusieurs années : emmener des bateaux vers l’atoll de Mururoa pour protester contre les essais nucléaires français et tenter de les empêcher. Coup de théâtre, le navire est coulé à 23 h 50 le 10 juillet, après son dynamitage par les « faux époux Turenge », qui sont en fait des agents des services secrets français. Or, un photographe sur place, Fernando Pereira, averti de l’explosion comme le reste de l’équipage décide d’aller récupérer son équipement photographique resté à bord. Las ! Il se retrouve pris au piège à l’intérieur du navire et meurt lors d’une seconde explosion.

Les faux époux Turenge sont tout de suite arrêtés par la police néo-zélandaise d’Auckland  à cause de la camionnette qu’ils ont louée pour récupérer les plongeurs chargés de placer les explosifs. Ces espions de la DGSE sont en fait le chef de bataillon Alain Mafart et le capitaine Dominique Maire, épouse Prieur. Ils sont identifiés comme étant les poseurs de bombe grâce à leurs empreintes digitales retrouvées sous le canot pneumatique qui avait servi à poser la bombe.

Un scandale international éclate. Laurent Fabius nie toute implication de la DGSE mais l’imminence de la publication de documents compromettants décide François Mitterrand à commander le 6 août, un rapport au conseiller d’État Bernard Tricot qui blanchit la DGSE. Le 17 septembre 1985, le journal Le Monde révèle l’existence d’une troisième équipe. Le lendemain, François Mitterrand réclame à Laurent Fabius des sanctions qui aboutissent le 20 septembre, par la démission du ministre de la Défense Charles Hernu et du limogeage de l’amiral Pierre Lacoste patron de la DGSE. Le 22, Laurent Fabius finit par admettre à la télévision que les services secrets français avaient mené l’attaque du Rainbow Warrior.

Cette affaire connaitra encore des dénouements deux décennies plus tard lorsqu’en septembre 2006, Antoine Royal, frère de Ségolène Royal, déclare à la presse que son frère Gérard Royal, ancien nageur de combat, se serait vanté d’avoir lui-même posé la bombe, ce que l’intéressé a refusé de confirmer. «Toute cette affaire me déplaît fortement. Je désapprouve que des choses soient écrites sur moi en lien avec cette affaire. C’est de l’histoire ancienne. [...] Je ne dirai jamais rien», déclarait-il le 2 octobre 1986 dans un entretien au NouvelObs.com.

- Le scandale du sang contaminé

Cette « sale affaire » entachera durablement le bilan de Laurent Fabius et sera à l’origine de plusieurs traversées du désert et mises au pilori au sein du PS. Elle concerne directement la vie de nombreux  innocents qui ont été transfusés de sang contaminés par le virus du VIH ou celui de l’hépatite C en raison à des mesures de sécurité inexistantes ou inefficaces. Selon les détracteurs de Laurent Fabius, des retards dans la mise en œuvre de mesures préventives auraient entraîné la contamination par le virus du sida de patients ayant subi une transfusion sanguine.

En avril 1991, la journaliste Anne-Marie Casteret publie dans l’hebdomadaire L’Événement du Jeudi, un article prouvant que le Centre national de transfusion sanguine (C.N.T.S.) a sciemment distribué à des hémophiles, de 1984 à la fin de l’année 1985, des produits sanguins dont certains étaient contaminés par le virus du sida. L’affaire provoque un scandale sans précédent et le 9 novembre 1992, François Mitterrand déclare : « Les ministres doivent rendre compte de leurs actes ». Laurent Fabius demande la levée de son immunité parlementaire pour être jugé. Il comparait le du 9 février au 2 mars 1999, devant la Cour de justice de la République aux cotés des anciens ministres socialistes Georgina Dufoix et Edmond Hervé pour « homicide involontaire ». Au final la cour le relaxe et déclare : « non constitués, à la charge de Laurent Fabius et de Georgina Dufoix, les délits qui leur sont reprochés, d’atteintes involontaires à la vie ou à l’intégrité physique des personnes » en argumentant  que « Compte tenu des connaissances de l’époque, l’action de Laurent Fabius a contribué à accélérer les processus décisionnels ». Malgré ce verdict, le scandale est installé et cette affaire lui a collé à la peau tout au long de sa carrière politique. Laurent Fabius avait alors dénoncé un complot mené par une « droite haineuse » la même selon lui qui s’en était pris avant-guerre à Roger Salengro, à Léon Blum et à Jean Zay…

 

Président de l’Assemblée nationale (1986-2000)

La gauche échoue aux législatives de 1986 ouvrant ainsi la voie à la première période de cohabitation de la Vème République. Laurent Fabius quitte Matignon  le 20 mars 1986 et cède la place à Jacques Chirac avec lequel il eut l’année précédente, un échange très vif lors de la campagne  électorale pour ces élections législatives. Lors d’un duel télévisé en octobre 1985, Jacques Chirac traite Fabius de « roquet ». Mais il rétorque grandiloquent avec un geste de la main : « Je vous en prie, vous parlez tout de même au Premier ministre de la France ! ». Cette répartie fera les gorges chaudes dans  toute la presse et lui sera reprochée pendant des années en marquant encore son origine grand bourgeois qu’on lui reprochait déjà.

La réélection de François Mitterrand en 1988  rebooste la carrière de Laurent Fabius qui s’était un peu mis entre parenthèse. Il est élu président de l’Assemblée nationale en 1988. Il conduit la liste socialiste lors des élections européennes du 18 juin 1989. Cette année là, le Parti socialiste réalise un score de 23,61 %,  l’un des meilleurs scores du PS à cette élection. Cette période est marquée aussi les batailles de pouvoir qui s’engagent entre les ténors du parti socialiste pour prendre les rennes du PS. Laurent Fabius s’enlise dans sa rivalité avec Lionel Jospin et échoue à deux reprises. En mai 1988, Pierre Mauroy l’emporte et devient secrétaire du PS avec le soutien de Lionel Jospin. Evènement qui marque une rupture définitive avec Lionel Jospin. Puis au congrès de Rennes en mars 1990, la rupture se fait avec le courant mitterrandien, qualifié de « suicide collectif » selon certains dirigeants socialistes. Après trois jours de débats et d’invectives, c’est Pierre Mauroy qui est reconduit à la tête du PS avec l’appui intangible de Lionel Jospin. Entre guerre lasse et persévérance, Laurent Fabius est enfin élu premier secrétaire du Parti socialiste en janvier 1992. Il le restera jusqu’au congrès du Bourget, qui suit la défaite de la gauche aux législatives de 1993 qui l’oblige à céder sa place à Michel Rocard.

 

Traversée du désert et temps de la réflexion

Pour l’élection présidentielle de 1995, Laurent Fabius renonce à se présenter lui-même en raison du scandale du sang contaminé qui le marquera de nombreuses années. Confirmant sa rupture avec Lionel Jospin, il se range derrière Henri Emmanuelli. Dans la foulée, il se fait élire maire du Grand-Quevilly en 1995, et devient président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, poste qu’il quitte en 1997, pour retrouver la présidence de l’Assemblée Nationale, suite à la victoire de la Gauche plurielle aux législatives et à la nomination de Lionel Jospin au poste de Premier ministre.

Le temps que lui laisse sa charge, il l’emploie à voyager et mesurer les problèmes soulevés par la mondialisation. Il envisage un temps de postuler au Fonds monétaire international comme l’évoque certaines rumeurs dans les médias. Mais elles ne font que précéder son retour au gouvernement et sur le premier plan de la scène politique. Dans un entretien accordé au quotidien Le Monde du 25 août 1999, il dénonce l’emballement de la machine fiscale et dans une entrevue avec La Tribune le 3 février 2000, il déclare : « Nous devons aussi alléger l’impôt sur le revenu, à mon avis, pour l’ensemble du barème : en bas, afin d’éviter les « trappes d’inactivité », au milieu pour réduire la charge des classes moyennes, en haut, afin d’éviter la fuite ou la démotivation des contribuables aux revenus les plus élevés ». Les dés sont lancés… car il est nommé ministre de l’économie, des finances et de l’industrie le 28 mars 2000 dans le gouvernement de cohabitation Jospin.

 

 

Ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie (2000-2002)

Cette nomination est dûe en réalité à la démission du successeur de Dominique Strauss-Kahn, Christian Sautter qui a jeté l’éponge face à la fronde des agents du ministère de l’économie. Ce dernier avait en effet, entamé un projet de réforme interne dont le but était d’établir un lien entre les rémunérations et la manière dont les tâches sont accomplies. Les syndicats se sont soulevés contre ce qu’ils ont considéré comme une provocation. Lionel Jospin en profite alors pour effectuer un grand remaniement de son gouvernement. Il y fait entrer aussi Jack Lang, Jean-Luc Mélenchon, Catherine Tasca, un représentant des Verts, Guy Hascoët, et un communiste en la personne de Michel Duffour.

Guidé par un désir de paix, Laurent Fabius enterre le projet de son prédécesseur dès son arrivée à Bercy et en profite pour mettre en œuvre la deuxième phase de la réforme des 35 heures. Il s’applique en parallèle, à poursuivre la politique de réduction de la fiscalité et de maîtrise des dépenses publiques menée depuis 1997 mais sa politique se retourne contre lui. Ses adversaires plus à gauche lui reprochent son libéralisme qui s’exprime dans le sacrifice du social. Lionel Jospin lui-même, ne suivra pas les conseils et projets de son ministre de l’économie en refusant de conditionner la baisse des impôts à celle des dépenses. Il maintient une baisse des impôts mais seulement sur les tranches les plus basses et s’engage dans une progression des dépenses publiques via  les investissements dans les hôpitaux, de nouveaux recrutements dans l’Éducation nationale et plus généralement dans toute la fonction publique.

Ce semi échec en parti dû à ses rapports conflictuels avec Lionel Jospin, n’empêche pas Laurent Fabius de poursuivre sa tâche car il est aussi le ministre du passage à l’euro, celui de la création du géant industriel Areva en septembre 2001, et du vote de la Loi organique sur les lois de finances promulguée en août 2001. Année où il supprime aussi la vignette pour les véhicules particuliers. En revanche, il est partisan d’une taxation des flux de capitaux, marquant ainsi  une avance sur son temps, à une époque où la crise liée à l’éclatement de la Bulle Internet venait juste de connaitre son apogée.  Il demeure à ce poste de ministre de l’économie jusqu’à la défaite cinglante de Lionel Jospin aux élections présidentielles de 2002. Quelques mois avant la nomination de Lionel Jospin au poste de premier ministre, Laurent Fabius déclarait : « Lionel Jospin aura deux haies à franchir. S’il perd les législatives, la présidentielle sera aussi perdue »…

 

 Dans l’opposition…

Les temps s’annoncent difficiles pour la gauche. Après la déclaration de Lionel Jospin de se retirer de la vie politique au soir de sa défaite le 21 avril 2002, Laurent Fabius est la principale personnalité à gauche pour mener la campagne des élections législatives qui suivent les présidentielles. A cette occasion, il affiche ses ambitions présidentielles mais c’est François Hollande qui est réélu premier secrétaire du Parti socialiste au Congrès de Dijon. Laurent Fabius prend à partir de là, une ligne opposée à ce qu’il prônait jusqu’alors et se démarque plus à gauche par le rejet du libéralisme. Ce virage « à gauche toute » l’enjoint à proscrire toute alliance future avec la droite modérée – ex UDF -  qui, après la réélection de Jacques Chirac et la création de l’UMP, commence à prendre son autonomie.

Ce changement politique va de pair pour Laurent Fabius, avec un changement d’image qui a souvent été mise à mal par les scandales comme l’affaire du sang contaminé ou celle du Rainbow Warrior mais aussi par ses positions politiques personnelles. Il entame alors un travail d’évangélisation de sa propre personne auprès du grand public qui se révèlera au final, assez maladroit. L’objectif est de troquer une image somme toute marquée par ses origines de grand bourgeois assez rigide contre celle d’un homme simple voir sympathique. Il publie en 2003 chez Plon un livre où il affiche sa volonté de se dévoiler dans l’intimité : « Cela commence par une balade ». Il y révèle qu’il voue une passion inconditionnelle aux carottes râpées et qu’il ne reste pas indifférent à la Star Academy pour laquelle il vote de temps en temps. Ces confidences assez maladroites qui ne coïncident pas avec le personnage public qu’il affiche depuis 20 ans, lui attireront les railleries des médias.

 

Référendum constitutionnel et ambitions présidentielles

C’est en 2004 qu’il revient sur le devant de la scène en s’opposant à la Constitution européenne. Il fait part de ses hésitations dans les médias qui se transforment en quelques mois d’un « non sauf si », à un non définitif qu’il défend au sein du parti socialiste. Ses positions mettent le PS en porte à faux de l’ensemble des socialistes européens partisans dans leur grande majorité, du « Oui ». Une position sui se confirme au sein du Parti socialiste français par un référendum interne où les militants décident de soutenir le « oui » par 55 % des voix.

Pourtant, c’est le non qui l’emporte lors du référendum national du 29 mai 2005 où il arrive aussi majoritaire au sein de l’électorat de Gauche. Le « oui » est ratifié par 16 pays sur 25, dont 14 par procédure parlementaire sans consultation de la population. Il est rejeté en France et aux Pays-Bas par référendum. Sous forme de représailles au « non » à la constitution européenne, le Conseil national du PS vote l’exclusion de Laurent Fabius, ainsi que celle de ses partisans, des instances du secrétariat national du PS.

Ce qui ne le freine pas dans ses ambitions présidentielles. En janvier 2006, Laurent Fabius annonce sa candidature à la primaire présidentielle socialiste. Pourtant, sa candidature est loin de faire l’unanimité car son positionnement contre le traité constitutionnel européen a soulevé de vives critiques tant à droite qu’à gauche. Il est accusé de manœuvre opportuniste pour se positionner en vue de la présidentielle de 2007.  Ses deux concurrents sont Ségolène Royal et Dominique Strauss-Kahn. À l’issue de la primaire interne du 16 novembre 2006, vainqueur dans son département de la Seine-Maritime, en Haute-Corse et à Mayotte, il arrive en troisième et dernière position avec 18,66 % des voix des militants et annonce dès le lendemain son ralliement à Ségolène Royal, désignée candidate du Parti socialiste dès le premier tour avec 60,65 % des voix. Malgré ses vives critiques à l’égard de Ségolène Royal, il prend sa défense au moment où elle rencontre les premières difficultés.

Dans le même temps, il est réelu de la quatrième circonscription de la Seine-Maritime en juin 2007 et reprend la tête de la communauté d’agglomération de Rouen, qu’il avait déjà occupée entre 1989 et 2000, avec comme objectif de la faire évoluer en communauté urbaine.

 

 Retour des fabiusiens dans la majorité du PS

Malgré son échec aux primaires socialistes, sa candidature permet à Laurent Fabius de revenir dans la majorité du PS. De nouveaux militants, issus du courant Nouveau Parti socialiste se rallient à Laurent Fabius, comme le groupe Nouvelle Gauche conduit par Benoît Hamon et une partie des anciens soutiens d’Arnaud Montebourg. Rapprochements sous forme de réconciliation qui se concrétiseront dans l’initiative des « Reconstructeurs » puis dans celle de la motion D du Congrès de Reims, dont la première signataire Martine Aubry est élue première secrétaire du Parti socialiste. Conséquence heureuse pour les fabusiens qui se retrouvent dans la majorité du Parti après de nombreuses années dans la minorité. Laurent Fabius peut à nouveau intervenir à l’Assemblée nationale au nom du groupe Socialiste sur des sujets de politique stratégique comme le non à la réintégration de la France au sein du commandement militaire intégré de l’OTAN et s’oppose aux projets gouvernementaux de réforme territoriale et de réforme des retraites.

Pour la présidentielle de 2012, Laurent Fabius soutient en premier Martine Aubry avant qu’elle n’officialise sa candidature aux primaires et renonce à se présenter lui-même. Mais lorsque François Hollande est investi, il se range derrière le candidat officiel au second tour de la primaire le 16 octobre 2011. Il entreprend alors un travail de défrichage et de communication du candidat Hollande sur le plan International lors de plusieurs déplacements comme celui à la fin du mois de janvier 2012 au Proche-Orient où il représente le candidat Hollande auprès du Qatar, de l’Autorité palestinienne et d’Israël. C’est là qu’il rencontre le président Shimon Peres et le ministre de la Défense Ehud Barak. Il se rend ensuite en Extrême-Orient au mois de février notamment en Chine où il n'est reçu par aucun haut dirigeant, et au Japon où il rencontre le Premier ministre Yoshihiko Noda. Enfin, il est choisi pour être le contradicteur du président de la République sortant, et candidat à sa succession, Nicolas Sarkozy lors de l'émission Des paroles et des actes du 6 mars 2012 sur France 2. Emission où on lui a reproché une certaine absence dûe au fait qu’il refusait systématiquement le clash.

plus
Alain Juppé
Ministère

L’un des derniers représentants du courant gaulliste dans la droite française, Alain Juppé a à son actif une grande carrière politique (régionale et nationale) marquée par son ancrage à la Mairie de Bordeaux. Homme de confiance de Jacques Chirac, grand rival de Philipe Séguin, de Charles Pasqua, aimé, détesté puis adoré par les français, celui qui occupe le Quai d’Orsay depuis le 27 février 2011, n’est jamais passé inaperçu. 

 

Une ascension politique fulgurante

Né le 15 aout 1945 à Mont-de-Marsan, Alain Juppé est le fils du gaulliste Robert Juppé, propriétaire agricole, et de Marie Darroze, issue d’une famille landaise. Il fait des études secondaires brillantes au lycée Victor-Duruy à Mont-de-Marsan, où il s'illustre en grec et en  latin, et obtient son baccalauréat en 1962, à l’âge de 17 ans. Il entre ensuite en classe préparatoire Hypokhâgne et Khâgne au lycée Louis-le-Grand à Paris, avant d’intégrer en 1964, l’École Normale Supérieure.

 

Après Sciences-Po, une agrégation de lettres classiques et son service militaire, il intègre l'ENA en 1970 à l’âge de 25 ans, pour en ressortir, deux ans plus tard, à la cinquième place de sa promotion.

 

Bardé de diplômes, Alain Juppé débute sa carrière en 1972 en tant qu’inspecteur des Finances. Au printemps 1976, il est recommandé par son ancien patron de l'inspection générale des finances, Jacques Friedmann, au directeur du cabinet de Jacques Chicac, alors premier ministre. Chargé de mission, Alain Juppé est la plume du premier ministre pendant trois mois, jusqu'à ce que ce dernier claque la porte de Matignon, en août 1976. M. Juppé devient alors conseiller technique au ministère de la Coopération jusqu’en 1978. Mais les deux hommes ne se quitteront plus.

 

Il se lance alors dans la politique régionale en Aquitaine en se présentant pour la première fois aux élections législatives de Mont-de-Marsan, en tant que candidat du RPR. Sans succès. La même année, alors qu'il a 33 ans, il suit Jacques Chirac à la Mairie de Paris, où il est nommé adjoint à la direction des finances et des affaires économiques de la capitale, puis directeur entre 1980 et 1981. Il devient alors l’un de ses plus proches conseillers. Il est d’ailleurs nommé directeur Adjoint de la campagne de Chirac pour l'élection présidentielle de 1981, et en mars 1983, adjoint au maire de Paris, chargé des Finances, poste qu’il occupera jusqu’en 1995.

 

Il continue en parallèle son ascension politique…à tous les niveaux. En 1979, il est élu au conseil national du RPR, dont il sera le responsable dans la fédération des Landes jusqu'en 1984, avant d'intégrer les instances nationales. En 1984, il est aussi élu député européen en figurant sur la liste d’alliance RPR-UDF conduite par Simone Veil.

Il franchit un pas supplémentaire en 1986 lorsque, à peine élu député de Paris, il est aussitôt nommé ministre délégué chargé du budget auprès d'Edouard Balladur lors de la première cohabitation sous François Mitterrand. Il le restera jusqu’en mai 1988.

Il est parallèlement porte-parole du gouvernement Chirac, avant de devenir celui du candidat Chirac à l'élection présidentielle de 1988. Son mentor échoue à nouveau face à François Mitterrand mais il décide de propulser Alain Juppé au sommet de l’appareil du RPR. Il devient alors secrétaire général du RPR et rejoint les bancs de l'Assemblée nationale.

 

Un pied aux avant-postes de la Mairie de Paris, un autre à la direction du RPR : l'ancien normalien est au coeur du système chiraquien. Devenu intouchable, il s'habitue à n'avoir de comptes à rendre qu'à M. Chirac. Cette habitude n’adoucit en rien son célèbre tempérament hautin et cassant. Alain Juppé est en effet connu pour sa rigueur et ses jugements sévères tout en traitant avec un égal mépris toutes les critiques qui lui sont adressées. Son visage froid et sec, surmonté d’une calvitie précoce ne fait qu’accentuer cette image.

 

Mais M. Juppé est également renommé pour sa fidélité envers celui qui lui permet de gravir les marches du pouvoir, Jacques Chirac. Au fil des années, il devient son seul homme de confiance, indispensable, irremplaçable. En 1989, il ne participe pas à la fronde des rénovateurs que mènent d'autres quadras au sein du RPR, et l'année suivante, il contribue à repousser l'offensive lancée par Philippe Séguin et Charles Pasqua pour renverser la direction du parti. M. Chirac lui en restera gré. En septembre 1993, lors des universités d'été des jeunes RPR, réunis à Strasbourg, il parle de M. Juppé comme « probablement le meilleur d'entre nous ». L'adverbe disparaîtra néanmoins des mémoires. Entre les deux hommes, c’est une fusion, un quasi-clonage.

 

Alain Juppé réussit aussi à s’implanter dans le 18e arrondissement de Paris, pourtant connu comme le fief de figures socialistes comme Lionel Jospin et Bertrand Delanoë. Il remporte les élections municipales de 1988, puis celles de 1993 dès le premier tour, rassemblant des électeurs de toutes orientations politiques. Il était également arrivé en tête de liste en 1983, devançant Lionel Jospin, mais avait laissé sa place à Roger Chinaud (UDF) préférant le poste d'adjoint au maire que Chirac lui avait confié.

 

En 1989, il mène par ailleurs conjointement avec Valery Giscard d'Estaing la liste RPR-UDF aux élections européennes et arrive une nouvelle fois en tête. Mais il ne restera député que quelques mois, préférant se consacrer à son mandat de parlementaire français.

Cependant, Alain Juppé n’hésite pas à montrer son engagement européen en prenant position en faveur du oui pour le traité de Maastricht en 1992. Il s'oppose ainsi au courant politique du gaullisme social incarné par ses rivaux de toujours, Charles Pasqua et Philippe Séguin qui estimaient que le traité européen représentait une menace pour l'indépendance de la France. Désormais considéré comme un homme d'influence, il réussit même à entraîner le RPR, son président compris (M. Chirac) à se prononcer pour le « oui » à Maastricht.

 

Quelques mois plus tard, il revient à la politique nationale. Dès la deuxième cohabitation, il est nommé ministre des affaires étrangères dans le gouvernement d'Édouard Balladur. Il occupera ce poste de mars 1993 à mai 1995. Il cumule alors cette fonction avec le secrétariat général du RPR et son poste à la mairie de Paris. Mais cela ne l’empêche pas de faire son travail avec brio. De l'avis d'un grand nombre, le passage d'Alain Juppé au Quai d'Orsay est jugé comme positif, est vu comme une période assez faste dans l'histoire de la diplomatie française récente.

 

Dès les premiers jours, il rétablit les circuits d'information et de concertation dans le ministère, commande une étude pour mettre à jour les dysfonctionnements et le malaise, il convoque tous les ambassadeurs. « En quelques semaines, cette administration qui, sous son prédécesseur, avait souffert du sentiment d'être ignorée, voire discréditée, se sentit, toutes tendances politiques confondues, réhabilitée, » peut-on lire dans un article du Monde paru en 1995.

 

Durant son mandat, il gère plusieurs dossiers difficiles comme la tragédie rwandaise et la délicate opération Turquoise. Il s'engage également dans le processus d'Oslo pour la paix israélo-palestinienne, en présidant notamment les conférences qui aboutissent aux signatures à Paris de deux accords sur les futures relations économiques entre Israël et l'OLP, les 9 mars et 29 avril 1994.

 

Il prend à cœur le conflit en Bosnie, il conçoit plusieurs plans de règlement du conflit  et tente à plusieurs reprises de mettre la pression sur la communauté internationale. Il parvient même en février 1994, à entraîner l'Elysée, les Américains et l'OTAN « dans la seule véritable action de force qui fut jamais tentée en Bosnie, avec l'ultimatum imposé aux Serbes à Sarajevo. Cet épisode a calmé le jeu, desserré l'étau meurtrier qui enserrait la capitale bosniaque, mais il n'a pu être réitéré quand il aurait dû l'être et n'a pas réglé le conflit. »

 

Il apparaît très rapidement comme un brillant ministre qui a conquis en deux ans une marge d'initiative qu'aucun ministre des affaires étrangères de la V République avant lui. Il réussit à convaincre François Mitterrand de lui donner le droit à la parole. C’est Alain Juppé qui, pendant ces deux années, explique la politique extérieure aux Français.

Il est considéré comme un homme modeste face à ce qu'il ne connaît pas, ayant une volonté de savoir, et d'agir, une grande rapidité intellectuelle, ainsi qu’une méthode. François Mitterrand apprécie son esprit clair et écoute ce qu’il a à dire.

 

Son passage au Quai d’Orsay permet à Alain Juppé de changer son image. « Il y venait avec une réputation de sécheresse, de froideur dans les contacts, avec une image de normalien-énarque qui lui collait à la peau. Il reste cet homme pudique et réservé sur lui-même, mais tous ses interlocuteurs ont pu mesurer en deux ans la réelle capacité d'écoute, la sincère curiosité qui se cachent derrière cette retenue, qu'il se soit agi de froids stratèges internationaux ou de ceux qui venaient lui parler des gens, comme cette grande petite bonne femme Rigoberta Manchu venue raconter au tout nouveau ministre le sort des Indiens guatémaltèques et qui le passionna. » Alain Juppé quitte le MAE avec une nouvelle stature politique.

 

« J’ai aimé cette maison », déclare-t-il avant de partir.

 

Juppé, le mal aimé

En mai 1995, Alain Juppé emménage à Matignon. A la suite de la victoire de Jacques Chirac à l’élection présidentielle, ce dernier le nomme sans surprise Premier ministre. Il dirigera deux gouvernements du 17 mai 1995 au 2 juin 1997.

 

Comme à son habitude, il cumule plusieurs fonctions. Le 18 juin 1995, il est élu  maire de Bordeaux, succédant à Jacques Chaban-Delmas. Il sera d’ailleurs reconduit en 2001, 2006 puis 2008.  Il conserve également la présidence du RPP, qu’il assumait par intérim depuis le 4 novembre 1994, date à laquelle M. Chirac avait déclaré sa candidature. Il restera à la direction du parti néo-gaulliste jusqu'à la défaite de la droite aux élections législatives de 1997.

 

L'homme qui entre à Matignon quelques semaines avant son cinquantième anniversaire, avec environ 60 % d'opinions favorables est donc pétri de certitudes. Mais ses deux mandats en tant que Premier ministre sont loin de connaître le succès qu’il a eu aux affaires étrangères.

 

Sa côte de popularité en prend un coup dès le premier mois de sa prise de fonction. En juin 1995, le Canard Enchaîné publie un document interne de la ville de Paris, signé de la main d'Alain Juppé, donnant ordre à ses services de diminuer le loyer de son fils Laurent, logé dans un appartement appartenant à la Ville de Paris, rue Jacob. Il est locataire, à un prix défiant toute concurrence, d'un appartement de 189 m² dans la même rue, où sont réalisés des travaux pour plusieurs millions de francs au frais des contribuables. Une plainte est déposée par une association de contribuables parisiens, puis l'affaire est classée par Bruno Cotte, procureur de Paris. M. Juppé tarde à répondre, puis crie à l'injustice. Le 6 juillet, il déclare au journal de 20 heures de TF1, qu'il ne se laissera « pas impressionner par toutes les campagnes qui vont continuer ». « Je reste droit dans mes bottes et je ferai mon travail », ajoute le premier ministre. L'expression fait florès. Mais près de quatre mois après le déclenchement de l'affaire, il annonce son prochain déménagement.

 

Mais ce que l’on retiendra de son passage à Matignon est l’échec incontestable du "Plan Juppé," un vaste projet de réforme de la  Sécurité Sociale et les retraites, qui provoqua en décembre 1995 le plus important mouvement social depuis 1968. Le plan prévoyait notamment un allongement de la durée de cotisation de 37,5 à 40 annuités pour les salariés de la fonction publique, afin de l'aligner sur celle du secteur privé déjà réformé en 1993, ainsi que le blocage et l'imposition des allocations familiales versées aux familles, combiné avec l'augmentation des cotisations maladie pour les retraités et les chômeurs.

Lorsque le Premier ministre présente son plan de réforme à l’Assemblée nationale, il se heurte à l’hostilité d’une grande partie de l’opinion publique. Mais trop éloigné de la réalité pour prendre la mesure du malaise social et trop sûr de lui, M. Juppé persiste. La réforme déclenche un vaste mouvement social. Le pays est littéralement paralysé. Les manifestations s'intensifient jusqu'à ce qu'Alain Juppé annonce ne plus toucher à l'âge de départ en retraite des régimes spéciaux (SNCF et RATP). Mais cela ne suffit pas. Le lendemain de l’annonce marque le point culminant du mouvement, avec deux millions de manifestants. Trois jours plus tard, Alain Juppé est contraint de retirer sa réforme sur les retraites, la fonction publique et les régimes spéciaux. Mais le gouvernement ne cèdera pas sur la Sécurité sociale, dont le budget sera dorénavant voté au Parlement. Le mouvement alors décroît jusqu'à la tenue d'un « sommet social » à Matignon le 21 décembre, concluant un mois d'agitation sociale en France.

 

Cependant, l’image qu’aura livrée M. Juppé à l'opinion n'est guère seyante. Beaucoup considèrent qu’il a tourné le dos aux engagements de campagne du président. Au lieu de lutter contre la « fracture sociale », priorité fut donnée à la réduction des déficits. Mais pis, lorsque les manifestations commencent, il préfère les ignorer et accumule les maladresses. Il annonce par exemple qu'il donnera sa démission quand « deux millions de manifestants » seront dans la rue (ce qu’il s’est d’ailleurs refuser à faire). Plus tard, il s'en prend publiquement à la « mauvaise graisse » de la fonction publique.

 

Maladroit dans la forme, contesté sur le fond, il est aussi critiqué sur sa méthode. Les ministres - ceux qui n’ont pas été évincé du gouvernement - se plaignent  ouvertement de l'autoritarisme de leur chef. La majorité commence à donner des signes de flottement.

Un an plus tard, la situation ne s’est toujours pas arrangée. 69% des français ne font plus confiance au chef de gouvernement.  Le nombre de réformes qu’il tente de mettre en place fait peur, il ne paraît pas sympathique, il n’est pas poche du peuple. Pourtant, même si un grand nombre de ses collaborateurs aussi le critiquent sur ses méthodes, ils semblent toutefois convaincus qu’il fait son travail avec intelligence et qu’il pourrait redresser la situation si le temps lui est donné.

 

Mais après la dissolution de l'Assemblée nationale par le président Jacques Chirac, la droite essuie une large défaite aux législatives de 1997. Le gouvernement Juppé est contraint de démissionner. Le 2 juin 1997, il laisse sa place à Lionel Jospin.

Il se consacre néanmoins à la ville de Bordeaux où il s'emploie à la moderniser, notamment par le développement d’un tramway, et à mettre en valeur son patrimoine, dont plusieurs monuments seront reconnus comme patrimoine de l'humanité par l'UNESCO.

 

Le 16 juin 2002, il est élu député dans la deuxième circonscription de la Gironde. La même année, il contribue à la fondation de l'UMP et en deviendra le premier président.

 

La descente aux enfers

Mais début 2004, Alain Juppé est contraint de renoncer à sa carrière politique. Il doit quitter ses fonctions de maire, de député ainsi que la direction de l’UMP. C’est la descente aux affaires : M. Juppé est accusé d'avoir permis l'embauche à la mairie de Paris de sept personnes du RPR afin de financer son parti.

 

L'affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris et du RPR débute à la fin des années 1990, notamment par la plainte d'un contribuable en 1998. La ville de Paris, donc M. Chirac et M. Juppé, premier adjoint de Paris au moment des faits, est accusée d’avoir employé entre 1977 et 1995, plusieurs dizaines de personnes travaillant en réalité pour le RPR, pour Jacques Chirac lui-même ou pour des proches. Payés par la municipalité, ces "salariés" n'auraient jamais effectué aucune mission pour la ville.

 

Alain Juppé avait d’ailleurs été mis en examen pour « abus de confiance, recel d'abus de biens sociaux, et prise illégale d'intérêt» en 1998.

 

Il clame son innocence. Mais le 30 janvier 2004, il est condamné par le tribunal correctionnel de Nanterre à dix-huit mois de prison avec sursis et à une peine de dix ans d'inéligibilité. S’il rejette l’enrichissement personnel de M. Juppé, il estime tout de même que ce dernier a “trompé la confiance du peuple souverain”. Nombre de commentateurs considèrent alors qu'il a payé pour Jacques Chirac qui ne peut être jugé tant qu’il exerce ses fonctions présidentielles. Le 1er décembre 2004, la Cour d'appel réduira sa peine à quatorze mois de prison avec sursis et un an d'inéligibilité.

 

En 2005, Alain Juppé décide donc de quitter la France et part enseigner les relations internationales à l'École nationale d'administration publique à Montréal au Canada. L’annonce de sa venue suscite l’hostilité dans le monde universitaire québécois. Le 18 février 2005, trente-quatre professeurs d'université du Québec et d'Ottawa publient dans le quotidien « Le Devoir », une lettre ouverte intitulée « Quand l'éthique fout le camp ».

Ils se disent indignés. En sollicitant un homme condamné dans l'affaire des emplois fictifs de la Mairie de Paris, "quel message l'ENAP envoie-t-elle à ses étudiants qui se destinent à une carrière administrative de même qu'à l'ensemble de la population : que le détournement de fonds n'est pas grave tant que celui-ci ne sert pas l'enrichissement personnel ?", interrogent-ils. Mais la polémique cesse rapidement et Alain Juppé enseigne normalement.            

                                                                                                                      

En aout 2006, une fois sa sanction levée, Alain Juppé annonce son retour en France, et son intention de se relancer dans la vie politique et de reconquérir son fauteuil de maire de Bordeaux. C'est chose faite quelques semaines plus tard.

 

Le 28 aout, la majorité UMP-UDF du conseil municipal de Bordeaux (hormis le maire Hugues Martin et deux adjoints, afin d’expédier les affaires courantes) démissionne en bloc, poussant à l’organisation d’une nouvelle élection municipale. Alain Juppé remporte les élections dès le premier tour le 8 octobre 2006. Il reprend sa place de maire de Bordeaux.

 

Lors de l’élection présidentielle de 2007, il apporte son soutien à Nicolas Sarkozy. Ce dernier le récompense en le nommant ministre d'Etat en charge de l'Ecologie, du Développement et de l'Aménagement durable, au sein du gouvernement Fillon. Mais son passage à ce poste sera éphémère. M Juppé, qui avait décidé de se présenter aux législatives de juin 2007 en Gironde, perd les élections. La règle veut qu'il quitte l'Exécutif. La démission de l'ensemble du gouvernement lui économise cependant de le faire officiellement.

 

Mais cela ne l’empêche pas de se faire réélire le 9 mars 2008 dès le premier tour à la mairie de Bordeaux. En parallèle, Nicolas Sarkozy le charge en 2009 de co-présider avec Michel Rocard une commission de réflexion sur les priorités du grand emprunt national 2010.

 

Ce nouveau geste du président n’empêche pourtant pas l’ancien Premier ministre de faire preuve d'un esprit critique face à la politique de Nicolas Sarkozy.

 

En février 2009, il critique le retour de la France au sein de l’OTAN. En octobre, c’est au tour de la réforme territoriale du gouvernement "encore très en retrait par rapport à ce qui était envisagé" et des modalités de suppression de la taxe professionnelle. Deux semaines plus tard, il cosigne avec M. Rocard, le général Bernard Norlain et l’ancien ministre de la Défense socialiste Alain Richard, une tribune dans le Monde en faveur du désarmement nucléaire. En décembre de la même année, il critique le débat sur l’identité nationale lancé par le gouvernement.

 

En juillet 2010, il dénonce le manque de moyens accordés au Quai d’Orsay dans une tribune du Monde. En aout, il s’attaque à la politique sécuritaire du président. Il met en garde contre les lois de « pure circonstance » et appelle à « moins d'idéologie » et « plus de pragmatisme ». Et ceci ne sont que quelques exemples.

 

En mars 2010, il déclare par ailleurs envisager de se présenter aux élections présidentielles de 2012 en cas de primaire à l’UMP : « Comme l’a dit François Fillon, le candidat naturel de la majorité en 2012 c’est Nicolas Sarkozy. S’il arrivait, pour des raisons qui lui appartiennent, qu’il ne soit pas à nouveau candidat, je pense qu’il faudra des primaires au sein de l’UMP. Je n’exclus pas à ce moment-là d’être candidat ». Hypothèse qu’il semble aujourd’hui écartée.

 

Nicolas Sarkozy décide alors de faire revenir le maire de Bordeaux sur la scène nationale. Pour le président, l'arrivée de M. Juppé est le gage de l'alliance renouée avec les chiraquiens et l'assurance qu'il ne devrait plus critiquer son action.

 

Après la mort de Philippe Séguin en janvier 2010, il lui propose donc la présidence de la Cour des comptes,  puis le ministère de la connaissance et de la recherche. Il tente le Quai d’Orsay. A chaque fois, M. Juppé décline. Les rumeurs disent qu’il ne veut pas devoir composer avec Claude Guéant, le secrétaire général de l'Elysée qui, à son poste, gère aussi les affaires extérieures du pays.

 

Mais il se laisse finalement convaincre. Le 14 décembre 2010, à l’âge de 65 ans, il devient ministre de la Défense dans le gouvernement Fillon III. Il explique alors que l’une des raisons pour lesquelles il a accepté est le fait que Nicolas Sarkozy est, à ses yeux, le seul « candidat à droite et au centre susceptible de gagner » en 2012. « J'ai des sentiments d'amitié pour lui. Ça fait trente ans que je le connais », a-t-il confié à propos du chef de l'Etat, précisant que les relations entre les deux hommes « dépendaient des jours » mais n'étaient « jamais glaciales. »

 

Il ne restera à ce poste que trois mois. Le 27 février 2011, à la faveur de la démission contrainte de Michèle Alliot-Marie du poste de ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé reprend les rênes du Quai d'Orsay… à  condition d’avoir les mains libres, que la politique étrangère de la France ne soit plus gérée par le duo Claude Guéant, le secrétaire général de l’Elysée, et Jean-David Levitte, le conseiller diplomatique du président. Requête accordée.

 

Juppé, l’homme providentiel

Oublié son passage à Matignon, oubliés ses problèmes judiciaires. Il avait laissé un tellement bon souvenir de son passage au Quai que son retour est acclamé. Il est attendu comme le messie par des diplomates démoralisés et peu convaincus par leurs ministres depuis 2004, et qui espèrent qu’avec cet homme fort, ils pourront récupérer les reines de la diplomatie française.

 

La presse le qualifie d’"homme providentiel" et de "sauveur" et semble penser qu’il pourra établir la voix de la France après des semaines de violentes critiques sur la proximité de Paris avec des régimes autoritaires comme la Tunisie.

 

Certains syndicats espèrent aussi qu'il usera de son poids politique pour obtenir des moyens supplémentaires. Depuis l'élection de Nicolas Sarkozy, le maire de Bordeaux a en effet  eu l'occasion de s'exprimer publiquement sur les affaires du Quai d'Orsay et la diplomatie française. Il a co-rédigé en 2008 avec Louis Schweitzer le Livre Blanc sur la politique étrangère de la France. Un document qui appelait à renforcer l'action interministérielle du ministère et soulignait que celui-ci avait consenti de gros efforts ces dernières années avec une baisse des effectifs de 11 % entre 1997 et 2007 et une réduction de 21 % des dépenses d'investissement et de fonctionnement entre 2000 et 2008. “On ne peut réduire indéfiniment ces effectifs et ces moyens sans remettre en cause les ambitions européennes et internationales assignées à notre action extérieure”, notait le Livre blanc. Il avait par ailleurs enfoncé le clou dans sa tribune commune avec Hubert Védrine, ancien ministre socialiste des Affaires étrangères.

 

Espérons donc qu’il sera à la hauteur des attentes. Mais dans un contexte économique extrêmement difficile et avec un président qui table sur SA politique étrangère pour remonter dans les sondages, le défi sera très dur à relever.

 

Vie personnelle:

Le 30 juin 1965, Alain Juppé épouse Christine Leblond avec laquelle il aura deux enfants, Laurent (né en 1967) et Marion (née en 1973).

 

Le 29 avril 1993, il épouse en seconde noce la journaliste Isabelle Legrand-Bodin avec qui il aura un troisième enfant, Clara, née deux ans plus tard.

 

Le blog-note d’Alain Juppé 

 

Mandats:

  • 1972 à 1976 : Inspecteur des Finances affecté au service de l’Inspection Générale des Finances
  • 1976 : Chargé de mission au Cabinet de M. Jacques Chirac, Premier Ministre
  • 1976 à 1978 : Conseiller technique au Cabinet du Ministre de la Coopération
  • 1978 à 1979 : Chargé de mission auprès de M. le Maire de Paris
  • 1978 à 1980 : Directeur Adjoint des Finances et des Affaires Economiques de la Ville de Paris
  • 1980 à 1983 : Directeur des Finances et des Affaires Economiques de la Ville de Paris
  • 1983 à 1995 : Adjoint au maire de Paris, conseiller du 18e arrondissement
  • 1986 à 1988 : Ministre délégué auprès du Ministre de l’Economie, des Finances et de la Privatisation, chargé du Budget - Porte-parole du Gouvernement
  • 1993 à 1995 : Ministre des Affaires Etrangères
  • 1995 à 1997 : Premier Ministre
  • 2007 : Ministre d’Etat, ministre de l’Écologie, du Développement et de l’Aménagement durables
  • 2010 (15 novembre) : Ministre d’Etat, ministre de la défense et des anciens combattants
  • 2011 : Ministre d’Etat, ministre des Affaires étrangères et européennes
  • 1977 à 1978 : Délégué National aux études du RPR 
  • 1979 à 1981 : Membre du Conseil National du RPR 
  • 1981 à 1988 : Membre du bureau politique et de la commission exécutive du RPR
  • 1988 à 1994 : Secrétaire général du RPR
  • 1994 à 1997 : Président du RPR 
  • 2002 à 2004 : Président de l’UMP
  • 1986 : Député de Paris
  • 1988 à 1993 : Député de Paris
  • 1997 à 2004 : Député de la Gironde
  • 1995 à 2004 : Maire de Bordeaux
  • 1995 à 2004 : Président de la Communauté Urbaine de Bordeaux
  • 2006 (13 octobre) : Réélu maire de Bordeaux
  • 2008 (14 mars) : Réélu maire de Bordeaux

Bibliographie:

  • «La tentation de Venise», Alain Juppé, éditions Grasset, 1993
  • «Entre nous» Alain Juppé , Nil éditions , 1996
  • «Montesquieu, le moderne», Alain Juppé, Perrin, 1999
  • «Entre quatre z’yeux», Alain Juppé et Serge July, Grasset, 2001
  • «France, mon pays, Lettres d’un voyageur», d’Alain Juppé, Robert Laffont, 2006

 

 

 

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